Courtney Barnett - Mercredi 7 Novembre 2018 - Casino de Paris (Paris)
« Courtney Barnett... L'intérêt que suscite chez nous la petite poétesse électrique ne semble pas diminuer après deux albums très réussis, et une collaboration un peu inutile avec le roi des fainéants, j'ai nommé Kurt Vile. Ce sera donc ce soir le Casino de Paris - sans doute quand même encore un peu trop grand pour elle - qui accueillera l'Australienne qui a le vent en poupe, et nul ne s'en plaindra... sauf ceux qui comme nous ne portent pas cette salle fort peu rock'n'roll dans leur cœur... (ni ses ouvertures de portes désorganisées !)
20h00 : Première partie assurée, au moins ça paraît cohérent, par une autre jeune auteur-compositrice australienne, basée elle aussi à Melbourne, Laura Jean... Sauf que, musicalement, il y a un grand écart du point de vue style musical... et style tout court. Laura est une grande blonde à l’allure sévère, sans doute plutôt pince-sans-rire, mais qui ne dégage absolument aucune émotion ni aucune "envie", ni dans ses chansons ni dans son attitude scénique des plus raides. S'accompagnant seulement d'un petit synthé où sont enregistrés ses musiques - elle expliquera que c'est exceptionnel, qu'elle est normalement accompagnée par un vrai groupe, mais qu'elle est trop pauvre pour les faire venir en Europe... -, synthé dont elle se sert d'ailleurs qu'assez maladroitement, elle aligne pendant plus de 40 minutes des chansons qu'on a un peu de peine à déchiffrer. De bons textes, certes, mais une absence un peu fatigante à la longue de mélodies reconnaissables comme de gimmicks accrocheurs. Laura chante bien, mais ce manque étonnant de pathos, cette retenue vaguement ironique desservent sa "performance" : malgré son âge, elle donne l'impression paradoxale d'une adolescente renâclant encore à sortir de sa chambre pour affronter le monde. Quelques brefs solos de saxo éclairent néanmoins ce set peu enthousiasmant...
21h15 : Je me rends compte que ça fait déjà bientôt 3 ans que j'ai vu Courtney Barnett sur scène, et bon dieu, qu'est-ce qu'elle a changé ! Vêtue avec une sobre élégance, souriante voire même radieuse, voilà une jeune femme visiblement bien dans sa peau, à laquelle on a du mal désormais à accoler l'étiquette "grunge", ou même le qualificatif un peu dédaigneux de "slacker". En attaquant par le sublime crescendo émotionnel et sonore de Hopefulessness, qui se termine - comme on pouvait l'espérer – en tornade électrique, Courtney met d'emblée les choses au clair : ce soir, c'est "festival de guitare", ce soir, c'est aussi une affaire de générosité (... aussi parce que son set durera 1h45, chose de plus en plus rare de nos jours...).
Je dois avouer que je n'avais pas repéré il y a 3 ans combien le jeu de guitare de Courtney est impressionnant : se passant de médiator – dont elle dit ne pas aimer la sonorité ! -, elle caresse et frappe ses six cordes avec une force et une sensualité qui font merveille. Elle a peut-être toujours la "right attitude" scénique mi punk, mi grunge, mais ce qu'elle tire de sa guitare est de la beauté pure ! Il est même amusant de penser qu'elle doit sa notoriété à son talent - indiscutable - de songwriter, à sa capacité à traduire en quelques phrases simples des sensations ou des sentiments complexes, alors qu'elle est avant tout, sur scène, une superbe guitariste...
Nourri des superbes mélodies de "Tell Me How You Really Feel", le set s'élève immédiatement : on chante tous les refrains malins de Need a Little Time ou de Nameless, Faceless, en attendant les prochains frissons que la guitare électrique enchantée de Courtney fera naître en nous. Et puis on explose avec la déflagration libératrice de I'm Not Your Mother, I'm Not Your Bitch. Pour accompagner Courtney, en sus de son habituel duo basse - batterie, il y a désormais une jeune femme blonde aux claviers qui étoffe encore le son, et qui prendra même vers la fin du set une seconde guitare pour augmenter encore le déferlement sonique. Impeccable !
Courtney n'a sans doute pas vraiment de tubes, mais elle dispose désormais d'un songbook riche en chansons superbes, ce qui fait que le temps s'envole ce soir tandis que nous flottons tous sur notre petit nuage de bonheur. Depreston s’avère une pause émouvante (bon, un peu dépressive, bien sûr !) et réflexive bien venue : « We drive to a house in Preston / We see police arresting / A man with his hand in a bag / How's that for first impressions / This place seems depressing / It's a California bungalow in a cul-de-sac… » Et puis Laura revient sur scène avec son saxo pour une interprétation respectueuse de Streets of Your Town, la merveille des Go-Betweens, bel hommage à l'un des meilleurs groupes australiens de tous les temps (... mais je me rends compte non sans nostalgie que personne autour de moi - dans un public pourtant pas très, très jeune - n'a l'air de connaître les Go-Betweens...). La fin de la soirée s'annonce avec le déferlement sonore et l'orgie électrique de Pedestrian At Best.
Le rappel sera absolument parfait : d'abord un beau titre chanté en solo, une reprise bouleversante de la chanteuse country Gillian Welch, des mots touchants de tristesse sur des arpèges saturés ; puis le morceau le plus ambitieux de la soirée, Anonymous Club, une superbe cathédrale sonore et émotionnelle qui rappelle que Courtney en a "sous le pied", et que son évolution future pourrait bien nous surprendre ; et la conclusion logique avec un bon rock carré des familles, histoire de se quitter sur un grand, grand sourire.
Bref, un concert idéal, qui a démontré sans ambiguïté que cette jolie jeune femme épanouie est déjà une artiste majeure de notre époque, dont on peut attendre des prodiges encore plus grands. Une promesse qui nous tiendra chaud alors que nous nous enfonçons dans froide nuit parisienne : alors que notre monde semble de plus en plus dur et menaçant, la courageuse Courtney chante déjà comme personne nos angoisses :
« I wanna walk through the park in the dark / Men are scared that women will laugh at them / I wanna walk through the park in the dark / Women are scared that men will kill them / I hold my keys / Between my fingers »
Les musiciens de Courtney Barnett sur scène :
Courtney Barnett – vocals, guitar
Andrew "Bones" Sloane – bass, backing vocals
Dave Mudie – drums, backing vocals
Katie Harkin – guitar, keyboard, backing vocals
La setlist du concert de Courtney Barnett :
Hopefulessness (Tell me who you Really Feel – 2018)
City Looks Pretty (Tell me who you Really Feel – 2018)
Avant Gardener (How to Carve a Carrot into a Rose EP – 2013)
Need a Little Time (Tell me who you Really Feel – 2018)
Nameless, Faceless (Tell me who you Really Feel – 2018)
I'm Not Your Mother, I'm Not Your Bitch (Tell me who you Really Feel – 2018)
Crippling Self Doubt and a General Lack of Self Confidence (Tell me who you Really Feel – 2018)
Small Poppies (Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit – 2015)
Small Talk (new song)
Debbie Downer (Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit – 2015)
Depreston (Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit – 2015)
Are You Looking After Yourself? (I've Got a Friend Called Emily Ferris EP – 2012)
Streets of Your Town (The Go‐Betweens cover)
Elevator Operator (Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit – 2015)
Lance Jr (I've Got a Friend Called Emily Ferris EP – 2012)
Charity (Tell me who you Really Feel – 2018)
Nobody Really Cares If You Don't Go to the Party (Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit – 2015)
Pedestrian at Best (Sometimes I Sit and Think, and Sometimes I Just Sit – 2015)
Encore:
Everything Is Free (Gillian Welch cover)
Anonymous Club (How to Carve a Carrot into a Rose EP – 2013)
History Eraser (How to Carve a Carrot into a Rose EP – 2013)
Cette critique a déjà été publiée en partie à l'époque du concert sur les blogs manitasdeplata.net et benzinemag.net