The Damned - Samedi 17 Novembre 2018 - Elysée Montmartre (Paris)
« Tiens je me demande là si ce n'est pas un record : 41 ans et 1 mois que je n'ai pas vu les Damned sur scène ! La dernière fois, au Bataclan, Paris brûlait de furie punk, comme Londres, et bien sûr nous avions toutes les illusions de nos 20 ans. Ayant manqué le - depuis légendaire - concert des Pistols au Chalet du Lac, nous nous nettoyions les oreilles encore embourbées dans le prog rock finissant et les interminables délires des dinosaures rock en pogotant aux concerts du Clash ou de The Jam, et attendions - en vain - que les Saints débarquent de leurs Antipodes. Face à des groupes de ce calibre-là, les Damned faisaient un peu charlots, et nous n'accordâmes que peu d'importance à leur passage au Bataclan le 6 octobre 1977 : « amusant mais anecdotique », fut notre verdict, sans état d'âme. Nous voulions faire sombrer le monde dans l'anarchie et les Damned voulaient avant tout nous faire danser : un beau malentendu.
Il se trouve qu'en 2018, il y a beaucoup de vieux punks qui cherchent à retrouver les sensations extrêmes de notre jeunesse, et qu'il n'y a plus guère que les Damned pour porter bien haut le noir (un peu gothique dans leur cas) de l'insurrection de 77, et qu'il nous semblait plus que pertinent d'aller à leur rencontre ce soir à l'Elysée Montmartre. Le hasard de l'actualité faisait d'ailleurs bien les choses, puisqu'au même moment, des hordes aux gilets jaunes déferlaient sur les ronds-points de notre belle France, pour semer le chaos : Yellow is the new Black ? Punk not dead ?
19h40 : Non ! C'est un cauchemar ? Sur scène, c'est le type de Cool Kleps !? Qui nous a rendu presque fous il y a dix ans de cela avec sa voix horrible et ses textes en français ridicules... Arggghh... Bon, ma légendaire honnêteté m'oblige à reconnaître que les 40 minutes de son set seront cette fois tout à fait supportables... malgré la voix qui n'a pas progressé, malgré les textes qui çà et là font halluciner (remember le fameux "papier peint qui tombe" ? Eh bien il tombe toujours !). Car l'hurluberlu du Rock'n'roll chante plus de chansons en anglais où les textes font quand moins mal, et est surtout désormais entouré de vrais musiciens qui, sans transcender quoi que soit, nous délivrent un bon rock carré qui fait hocher de la tête. Pour finir, on retrouve la reprise habituelle de I Wanna Be Your Dog, qui est plutôt agréable... jusqu'au moment où le refrain se transforme - comme en 2008 à la Locomotive - en "I wanna be your clebs" ! Frisson (d'incrédulité) garanti ! A noter que je découvrirai à la sortie que le nom du groupe est désormais NY Kleps… Admettons !
20h50 : Une musique très cinématographique – que je connais très bien mais n’arrive pas à reconnaître – marque l’entrée sur scène de The Damned, dans une ambiance de thriller de série B ma foi bien sympathique (renforcée par la reproduction derrière les musiciens de la jolie pochette de "Evil Spirits", leur dernier album. Bon, pour ceux, nombreux, qui n’auraient pas suivi le groupe durant les dernières quatre décennies, il ne reste du combo punk original que Dave Vanian au chant – le grand responsable du tournant "gothique" du groupe – et le fabuleux Captain Sensible à la guitare : grand clown devant l’Eternel, ce musicien rapidement considéré comme l’un des meilleurs de la vague 77, équilibre par sa joie exubérante et sa guitare volcanique la rigueur austère de Vanian. Bref, deux courants musicaux absurdement opposés qui s’équilibrent dans une musique – goth, post punk, new wave, je ne sais quoi – qui s’avère étrangement riche et envoûtante.
Bon, on commence par l’inévitable référence aux origines, Born to Kill, une chanson que je n’ai pas écoutée depuis 40 ans, mais qui me revient instantanément en mémoire :
« It's no kind of big deal / No carnegie steal / I don't feel like no heel / When I'm born / Said I'm born / Yeah I'm born / When I’m born to kill ».
Le public, en grande partie quinquagénaire, s’ébroue de contentement, mais ce qui me frappe surtout, c’est combien ces types initialement considérés comme des clowns, à cause de leurs pitreries perpétuelles, sont devenus une incroyable machine à tuer : juste devant moi, Paul Gray saute dans tous les sens en torturant sa Rickenbacker au son évidemment caverneux, tandis que Monty Oxymoron, lutin ventripotent et chevelu (« un géant parmi les nains », comme le présentera Vanian !) délire complètement sur ses claviers. Vanian, au centre, même s’il a heureusement abandonné son look Bela Lugosi, joue au crooner classique, en costume et chemise noirs, lunettes noires et gants noirs. Au fond, Captain Sensible est à lui seul LA musique du groupe, rigolard et concentré à la fois : il a troqué son légendaire béret rouge pour un petit chapeau noir, son nez est chaussé de petites lunettes rondes qui marquent son âge, et ses belles boucles blondes sont réduites à un léger moutonnement argenté, mais c’est lui, c’est le PUTAIN de Captain ! Dans le fond, le batteur est… un batteur : rien à signaler de particulier, désolé.
C’est à partir de Wait for the Blackout, premier titre d’un enchaînement parfait d’extraits de "The Black Album", pour toujours le plus bel ouvrage du groupe, qu’on prend toute la mesure de ce que The Damned est devenu : un foutu jalon du Rock Anglais, dans ce qu’il a de plus classique, élégant, éternel. J’avais peur de renouer avec des souvenirs qui seraient devenus un peu ringards, et je me retrouve devant un spectacle totalement classe, à la fois noir – on ne se refait pas -, intense et généreux. Et surtout d’une folle énergie : car s’il ne reste pas grand-chose des racines punks des Damned, ils n’ont rien perdu de cette extraordinaire rapidité qui caractérisa leur apparition avec le single New Rose (qui fut rappelons-le, le premier disque officiel du punk anglais !). Même les morceaux plus mid-tempo semblent soulevés du sol par une puissance irrésistible. Impossible ou presque de prendre des photos car les musiciens sont toujours en mouvement, et le spectacle est total. Vanian reste néanmoins souvent dans une posture solennelle soulignée par son look sombre et son air sérieux, éclairé juste par un spot vert et concentré sur son élégant micro rétro : le vampire de ces dames est donc devenu un chanteur appliqué. Mais, même s’il délègue le spectacle aux autres membres du groupe, et la fantaisie au Captain, Vanian vient régulièrement au contact du public : c’est ainsi qu’il me choisira moi particulièrement pour chanter dans le micro à deux reprises ! J’avoue que, avec la voix que je me trimballe, c’est un peu la honte, mais j’avale ma fierté, je me dis que la lave en fusion qui sort de la guitare du Captain couvrira mes glapissements de porcelet qu’on égorge, et je braille, braille les refrains. Bon, Vanian, n’a pas l’air de m’en vouloir de chanter aussi mal, tout va bien !
Je n’ai pas parlé du dernier album, que je connais mal, mais ce que nous en avons entendu ce soir, en particulier le superbe I don’t care, avec sa belle montée en puissance, prouve que le groupe n’a toujours pas perdu son inspiration… New Rose et Neat Neat Neat termineront le set dans le grand moment nostalgique inévitable, mais ce sera un jeune punk arborant une fière iroquoise qui montera sur scène nous rappeller que cette énergie-là est toujours pertinente en 2018.
« Be a man can a mystery man / Be a doll be a baby doll / It can't be fun not anyway / It can't be found no way at all! / Neat Neat Neat »
Le premier rappel – car il y en aura deux, pour près d’une heure trois quarts de concert – est une fantastique surprise : Curtain Call ! Un bon quart d’heure magnifique, presque prog rock oserait-on dire. Second rappel, on apporte son béret rouge au Captain, qui nous annonce qu’on l’a autorisé à chanter une chanson, et le groupe attaque le fameux tube planétaire Wot, un peu incongru ce soir. D’ailleurs, au bout d’une minute et demie, comme si quelqu’un avait débranché la prise, le son est coupé. Ça suffit ! Repassons aux choses sérieuses, et ce sera le légendaire Jet Boy, Jet Girl d’Elton Motello, soit l’un des textes les plus sensationnels et provocateurs du mouvement punk, interdit dans une nuée d’endroits, dont certains états des USA : chant désespéré et furieux d’un adolescent amoureux d’un homme mûr qui le trompe avec une femme, c’est une chanson superbe où la rage punk sert un vrai sujet polémique.
« Jet boy I'm gonna make you penetrate / I'm gonna make you be a girl / Ooooohhhh/ Jet boy jet girl »
Le problème, évidemment, c’est qu’une grande partie du public pense qu’il s’agit d’une reprise de Ça Plane Pour Moi, le tube inoffensif de Plastic Bertrand : à leur décharge, admettons qu’il s’agit d’une méprise commune et explicable, le même enregistrement original ayant servi aux deux chansons !
Il est temps d’envoyer tout le monde se coucher sur la décharge électrique de Smash It Up. Les musiciens ont l’air sincèrement contents du concert, le public est aux anges, j’entends tout autour de moi les mêmes mots qui tournent en boucle : généreux, puissant, classe, etc. On est bien tous d’accord : si vieillir se traduit chez beaucoup de musiciens par un ressassement des mêmes idées et un épuisement de l’inspiration, les Damned font partie, contre toute attente – car qui aurait parié sur eux en 1977 ? – des gens qui font honneur à leur époque comme à celle d’aujourd’hui. »
Les musiciens du concert de The Damned :
Dave Vanian – vocals
Captain Sensible – guitar, vocals
Monty Oxymoron − keyboards
Pinch − drums
Paul Gray – bass
La setlist du concert de The Damned
Born to Kill (Damned Damned Damned – 1977)
Democracy? (Grave Disorder – 2001)
Standing on the Edge of Tomorrow (Evil Spirits – 2018)
Wait for the Blackout (The Black Album – 1980)
Lively Arts (The Black Album – 1980)
Silly Kids Games (The Black Album – 1980)
Dr. Jekyll and Mr. Hyde (The Black Album – 1980)
Devil in Disguise (Evil Spirits – 2018)
Stranger on the Town (Strawberries – 1982)
The History of the World (Part 1) (The Black Album – 1980)
I Don’t Care (Evil Spirits – 2018)
Love Song (Machine Gun Etiquette – 1979)
1 of the 2 (Damned Damned Damned – 1977)
We’re So Nice (Evil Spirits – 2018)
New Rose (Damned Damned Damned – 1977)
Neat Neat Neat (Damned Damned Damned – 1977)
Encore:
Curtain Call (The Black Album – 1980)
Ignite (Strawberries – 1982)
Encore 2:
Wot (Captain Sensible song)
Jet Boy, Jet Girl (Elton Motello cover)
Smash It Up (Machine Gun Etiquette – 1979)
Cette critique a déjà été publiée en partie à l'époque du concert sur les blogs manitasdeplata.net et benzinemag.net