Future Islands - Mardi 9 Mai 2017 - Elysée Montmartre (Paris)
« La découverte de Future Islands en 2014 avait été une sorte de choc, même si le fait qu'une bonne partie de la planète rock s’était mis sur le coup en même temps nous a privé du délicieux plaisir de nous sentir "spéciaux", "en avance"... et ce d'autant que le spectaculaire "Singles" était quand même le 4ème album de la bande à Samuel T. Herring... On repassera donc en termes de découverte précoce ! Notre résidence à São Paulo nous priva en outre de la version "live" des tubes électro-soul de Future Islands… ce qui nous ramène à ce mois de mai 2017 à Paris, à l'Elysée Montmartre, pour la première de deux soirées sold out.
En cette fin d'après-midi - les portes ouvrant à 18h30, il fallait arriver tôt sur le trottoir du Bd Rochechouart - illuminée par la réapparition du soleil et par la déculottée du FN au second tour des élections présidentielles, le niveau d'attente est indiscutablement élevé, trop peut-être ?
En tout cas, le premier rang sera confortable pour une fois, grâce à une scène un peu plus basse et surtout aux crash barriers qui assurent le recul suffisant pour ne pas se dévisser le cou. Beaucoup de visiteurs étrangers autour de moi : Espagnols et Italiens en particulier doivent rattraper ce soir un passage trop rapide du groupe chez eux...
19h45 : Intergalactic Lovers, quintet belge, assure la première partie et nous offre une petite demi-heure de rock plutôt agréable, assez enlevé et conduit par une front woman au faux look de Chrissie Hynde… mais aux vocaux beaucoup moins agressifs. Elle assure un spectacle assez généreux, avec un jeu de scène original, et elle dégage une sympathie simple qui conquiert visiblement le public. Si les compositions paraissent par trop uniformes, et qu'un soupçon d'énergie supplémentaire aurait pu transformer le set en une vraie jolie surprise (on notera quand même le batteur à la frappe "sérieuse"), Intergalactic Lovers est une première partie plaisante, qui aide à passer le temps sans déplaisir.
20h50 : Herring nous a fait attendre un peu- le set devant théoriquement démarrer à 20h40 -, mais je suis entouré au premier rang de vrais fans du groupe, de ces fans de la première heure qui sont déjà "au taquet" (ce sont eux qui le disent…). Moi qui ne connaît que les deux derniers albums du groupe, je ne la ramène pas trop, d'ailleurs ! Future Islands, c'est donc un des rares groupes de rock qui se passe complètement de guitare : la formule est ici claviers + basse + batterie, mais on sait tous désormais que l'arme secrète du groupe est son chanteur, autant pour sa voix incroyable - qui parcourt toute la gamme entre la suavité d'un soul man classique et la brutalité vocale de, disons… Rammstein - que pour son jeu de scène excessif, et excessivement particulier… Un jeu de scène qu'il faut évidemment découvrir en live, à quelques mètres devant soi, car les vidéos n'en donnent finalement qu'une image très affadie.
On attaque avec le magnifique Aladdin, l'ouverture magistrale de "The Far Field", le nouvel album : tous les yeux sont fixés sur Herring, qui semble déchaîner une véritable passion chez ses fans (à un moment du concert, j’ai pu faire un parallèle avec la ferveur qui animait autrefois les fans de Morrissey...). Il faut dire que, en moins d'une minute, Samuel sait capter toute notre attention, et surtout qu’il fait monter l'émotion avec une maîtrise époustouflante : que cela soit par ses mouvements - très exagérés, théâtraux, spectaculaires - alors qu'il balaye sans relâche la scène largement dégagée de l'Elysée Montmartre, ou par sa voix, puissante, remarquable dans sa capacité à matérialiser les sentiments les plus extrêmes, Herring est un maître de la manipulation de son audience. Oui, il n'y a pas trois minutes que le concert a commencé, et, sur une accélération foudroyante de Herring, sur une montée subite de sa voix, la foule a déjà basculé dans une petite hystérie. Fort, très fort, indiscutablement !
Derrière Herring, il y a une véritable machine à danser dont je découvre avec surprise l'efficacité, propulsée par un niveau sonore très acceptable (décidément, le nouvel Elysée Montmartre me réconcilie avec cette salle, dont j''ai déploré durant des années la pusillanimité et l'imprécision au niveau sonore). Derrière ses claviers, Gerrit Welmers a l'attitude figée et distante de ses héros des eighties - puisque la parenté sonore avec un OMD, par exemple, est indiscutable - mais construit tour à tour des rythmes et des ambiances imparables, et finement paradoxales par rapport à l’univers au pathos chargé de Herring. A la basse, William Cashion nous la joue façon Bill Wyman, imperturbable, paraissant peu concerné devant le maelström émotionnel autour de lui. Future Islands est complété sur scène par un batteur à la frappe dure et puissante, propulsant sa musique sur un dancefloor imaginaire.
La setlist alterne donc les morceaux sombres et torturés de "The Far Field" et les chansons plus extraverties de "Singles", mais dans tous les cas, Herring vit devant nous un psychodrame dont l'intensité ne se dément jamais. Il alterne les pas de danse spectaculaires et créatifs, déclenchant des vagues d'enthousiasme dans le public, un peu comme un torero enflammant une arène par son audace : physiquement très "Américain ordinaire", Herring se transforme d'un coup en pole dancer provocante, en danseuse des Mille et Une Nuits ou encore en funambule sous psychotropes, et c'est assez stupéfiant ! Et puis, voici un loup garou qui va et vient sur scène, ses prunelles claires habitées par une bestialité effrayante. C'est maintenant Quasimodo qui saute d'une tour de Notre Dame à une autre en hurlant son amour pour Esmeralda. C'est encore un jeune Hamlet prostré sur scène devant un crâne et sanglotant sans retenue devant le désastre de son existence. Herring se gifle, se frappe la poitrine, lèche sa propre sueur qui ruisselle partout, traduit chaque modulation de sa voix titanesque par un mouvement convulsif. Le spectacle est permanent, total, vaguement épuisant dans son intensité qui n'offre aucun répit. Chaque chanson est magnifiée et devient la traversée épique d'un paysage fracturé et hostile, qui repeint la musique de Future Islands de noir et de pourpre.
Sur cet océan déchaîné de colère titanesque, le set s'achemine vers une conclusion de plus en plus paroxystique. Seasons, avec ses tonalités très "Arcade Fire", est une véritable déflagration, loin de la facilité pop de la version studio. Future Islands enchaîne maintenant les anciens titres - plus dance, plus ludiques - que, à ma grande honte, je ne connais pas, alors que le public autour de moi saute unanimement en l'air avec Herring. Le concert a basculé dans une célébration orgasmique des émotions les plus extrêmes. Herring s'agenouille alternativement devant chacun des spectateurs du premier rang, plantant son regard clair dans nos yeux, comme pour insérer en nous une graine de cette douleur épique qui le consume. A moins que cela ne soit pour que nous puissions témoigner individuellement de sa sincérité ? Car devant un show aussi théâtral, le doute est permis : pourquoi, comment tant de pathos ? L'accumulation d'explosions, de moments forts, très forts même, ne finit-il pas par miner la crédibilité de cette colère prométhéenne ? Il suffit de remarquer combien, entre deux chansons où il endosse ses ailes de géant, Herring paraît soudainement timide, presque gêné des excès auxquels il vient de s'abandonner. Le set principal finit au bout de presque une heure et demi par une version magistrale de l'irrésistible Spirit, chanson électro-pop purement ludique qui permet de s'abandonner sans culpabilité à des joies plus simples.
Rappel généreux de quatre titres, qui permettra au concert de dépasser l'heure trois quart, ce qui est devenu rare. Beach Foam, semble-t-il rajouté de manière impromptue, nous offre enfin un Future Islands se livrant au plaisir léger d'un rock plus bas du front, tandis que le titanesque Vireo’s Eye offrirait une parfaite conclusion festive et consensuelle à cette soirée de tous les excès... Sauf qu’évidemment, Herring ne peut s'empêcher de clore la soirée par une chanson lente et émotionnelle, marquant bien ce territoire singulier qui est le sien.
Si j'avais encore 20 ou 25 ans, je dirais certainement de ce concert qu'il fut le sommet de cette année, et l'un des tous meilleurs de ma vie. A mon âge, je n'ai pas pu m'empêcher d'y trouver pas mal de "trop" : trop d'emphase, trop de spectacle, trop d'expression hystérique d'émotions (qui paraissent néanmoins sincères, reconnaissons-le) ... Cette tentative permanente de hold up de nos sentiments, pour réussie qu'elle soit - quand Future Islands repart, la banque est vide ! - me laisse trop épuisé pour que mon admiration ne soit pas entachée de doutes. « Anger is an Energy », clamait John Lydon en 1986, et trente ans plus tard, Herring l'a visiblement pris au mot : heureusement qu'on peut toujours danser sur le volcan de nos frustrations et nos douleurs ! »
Les musiciens de Intergalactic Lovers :
Lara Chedraoui (singer)
Brendan Corbey (drums)
Maarten Huygens (guitar)
Raf De Mey (bass guitar)
Philipp Weies (guitar)
La setlist du concert de Intergalactic Lovers :
Northern Rd. (Little Heavy Burdens – 2014)
Islands (Little Heavy Burdens – 2014)
No Regrets (Little Heavy Burdens – 2014)
Shewolf (Greetings & Salutations – 2011)
Howl (Greetings & Salutations – 2011)
Delay (Greetings & Salutations – 2011)
Les musiciens de Future Islands :
Gerrit Welmers – keyboards and programming
William Cashion – bass
Samuel T. Herring – vocals
+ Michael Lowry – drums
La setlist du concert de Future Islands :
Aladdin (The Far Field – 2017)
Beauty of the Road (The Far Field – 2017)
Time on Her Side (The Far Field – 2017)
Sun in the Morning (Singles – 2014)
A Dream of You and Me (Singles – 2014)
North Star (The Far Field – 2017)
Doves (Singles – 2014)
Black Rose (The Far Field – 2017)
Ancient Water (The Far Field – 2017)
Day Glow Fire (The Far Field – 2017)
Walking Through That Door (In the Evening Air – 2010)
Ran (The Far Field – 2017)
Balance (On theWater – 2011)
Cave (The Far Field – 2017)
Through the Roses (The Far Field – 2017)
Give Us the Wind (On theWater – 2011)
Light House (Singles – 2014)
Seasons (Waiting on You) (Singles – 2014)
Long Flight (In the Evening Air – 2010)
Tin Man (In the Evening Air – 2010)
Spirit (Singles – 2014)
Encore:
A Song for Our Grandfathers (Singles – 2014)
Beach Foam (Wave Like Home – 2008)
Vireo's Eye (In the Evening Air – 2010)
Little Dreamer (In the Evening Air – 2010)
Ce compte-rendu a été partiellement publié à l'époque sur mon blog : www.manitasdeplata.com