David Byrne - Lundi 5 Novembre 2018 - Zénith (Paris)
« Il est de nos jours un peu moins courant qu’il ne l’a été de voir des artistes passer deux fois par Paris au cours d’une même tournée, et il est encore plus rare que je me déplace deux fois de suite, à peu de mois d’intervalle, pour assister à un tel “bis”. Mais le spectacle total que nous offre en ce moment David Byrne est tellement exceptionnel – au vrai sens du mot : du jamais vu, en fait ! – qu’il était impossible de ne pas y retourner, et ce d’autant que ma petite femme est très fan des Talking Heads, et était prête à m’accompagner…
Le Zénith est en configuration assise ce soir, mais ne sera pas complètement rempli pour autant, le prix des places étant quand même assez prohibitif… Et du coup, le public est généralement plus âgé qu’en juillet à la Philharmonie. Nous sommes idéalement placés, au premier rang, légèrement sur la gauche, des places stratégiques lorsque, probablement entre le troisième (I Zimbra) et le quatrième morceau (Slippery People), il faudra se ruer à la crash barrier !
La soirée commence bien, puisque mon voisin, qui doit avoir mon âge, me parle de ses jeunes années à écouter Magma, Yes ou King Crimson, ce qui ne nous rajeunit pas mais fait quand même plaisir. Je lui rétorque qu’il devrait écouter King Gizzard et Godspeed You ! Black Emperor, on ne sait jamais ! Mais les choses s’enveniment avec l’apparition de la Danoise Agnes Obel à 19h45. Accompagnée de deux contrebassistes et d’une batteuse, elle va nous gratifier de 40 minutes de torture à petit feu, alignant des chansons informes et sans vie qui se ressemblent toutes, profondément dépressives et déprimantes, desquelles nulle beauté ne peut surgir tant elles manquent de la moindre imagination, de la moindre mélodie, de la moindre structure. Sur le plan de la “technique pure”, tout cela est parfait, même si les effets de voix d’Agnes sont finalement très répétitifs, mais la technique n’a jamais remplacé le talent, que je sache. Une horreur, dont on n’arrive pas à imaginer l’usage, hormis comme sédatif pour les patients d’un asile psychiatrique en Sibérie. Et le pire, c’est que la Danoise rencontre apparemment un relatif succès. Consternant !
20h45 : On passe aux choses sérieuses, à de la Musique (lettre majuscule !), de la vraie... Le décor est le même qu’à la Philharmonie, ce spectaculaire espace entouré de rideaux de chaînes, d’où vont surgir les musiciens intervenant sur chacun des morceaux, pour composer ces chorégraphies saisissantes, dynamiques et ludiques, qui transforment chaque chanson en un formidable happening plein de joie. En fait la setlist aussi est identique, ce qui est, je suppose, logique pour un spectacle aussi exigeant “techniquement”, à deux exceptions près, ayant un effet plutôt positif sur le dynamisme du set : Gasoline and Dirty Sheets, l’un des meilleurs titres de “American Utopia” vient remplacer le plus faiblard Everyday is a Miracle, et surtout, surtout… le fabuleux Road to Nowhere se substitue à l’assez inintéressant Dancing Together, David Byrne répondant ainsi à l’un de mes vœux (… mais manquent encore à l’appel Life During Wartime et Psycho Killer… on ne peut pas tout avoir !).
Un petit incident amusant, mais significatif, à signaler : alors que nous trépignons sur nos chaises pendant I Zimbra, puis pendant l’intro de Slippery People, impatients de nous lever pour danser sur ces titres réellement irrésistibles, le service d’ordre s’emploie à faire se rasseoir les premiers malheureux qui se lèvent ! Consternant, non ? Mais heureusement, Byrne stoppe net sa chanson, pour venir protester et demander aux videurs de laisser les gens faire ce dont ils ont envie. C’est le signal, bien évidemment, de la ruée générale vers la barrière, que nous atteignons heureusement les premiers, vu notre placement ! Nous voilà idéalement situés pour jouir de ce concert qui va s’avérer encore une fois sublime, peut-être même meilleur que celui de la Philharmonie. La joie des musiciens qui s’amusent tous comme des fous est communicative, et l’enthousiasme du public décolle à chaque intro d’un nouveau morceau des Talking Heads, évidemment (neuf titres sur vingt-et-un, pas trop mal, non ?). Byrne est impérial, d’une classe folle, toujours éblouissant vocalement et physiquement, avec ses postures décalées et ses pas de danse déconstruits : un exemple d’un grand artiste qui vieillit en beauté, respectant son œuvre passée tout en l’adaptant de manière toujours plus créative !
En introduction de Everybody’s Coming to My House, il évoque combine sa chanson a évolué, sous l’influence de lycéens qui l’ont chantée : le sujet paranoïaque d’origine (une “home invasion”) s’est transformé en chanson d’accueil… L’occasion de remercier les trois émigrants brésiliens qui font partie du groupe et lui sont indispensable, et donc de « prier pour le Brésil… et pour les Etats-Unis » !
This Must Be the Place et Once in a Lifetime remuent profondément la fibre nostalgique du public, bien entendu, mais cette fois, ce sera la version fabuleuse de Born Under Punches qui constituera l’un des sommets de la soirée : il faut dire que Byrne, qui vient de faire son speech sur le fait que tous les sons que nous entendons sont produits par la troupe sur scène, a eu l’idée géniale de le prouver en nous montrant, musicien après musicien, la construction du morceau… c’est magique, et il ne nous reste plus, nous le public, qu’à ajouter nos chœurs par là-dessus : « And the heat goes on / where the hand has been / And the heat goes on / and the heat goes on… ».
Blind, le morceau le plus purement Rock du set, avec ses jeux d’ombre gigantesques, me semble également plus percutant cette fois, avant l’explosion de Burning Down the House. Road to Nowhere nous fait littéralement fondre, et The Great Curve est une conclusion parfaite à la soirée, avec un solo de guitare final bien destroy de la petite guitariste en chaussons (car elle est la seule à ne pas être pieds nus…). Après ça, Hell You Talmbout, le titre anti-Trump de Janelle Monae n’est pas forcément nécessaire, mais permet de quitter le Zénith en douceur, en se disant que, bon dieu, quel type, ce David Byrne !
« There's a city in my mind / Come along and take that ride / And it's all right, baby it's all right / And it's very far away / But it's growing day by day / And it's all right, baby it's all right / Would you like to come along? / And you could help me sing this song / And it's all right, baby it's all right… ». Il est indiscutable que nous sommes tous en route pour le grand nulle part, mais au moins, nous chanterons et nous danserons tout au long du chemin ! »
La setlist du concert de David Byrne :
Here (American Utopia – 2018)
Lazy (Grown Backwards – 2004)
I Zimbra (Talking Heads – Fear of Music - 1979)
Slippery People (Talking Heads – Speaking in Tongues – 1983)
I Should Watch TV (David Byrne & St. Vincent – Love This Giant - 2012)
Dog's Mind (American Utopia – 2018)
Everybody's Coming to My House (American Utopia – 2018)
This Must Be the Place (Naive Melody) (Talking Heads – Speaking in Tongues – 1983)
Once in a Lifetime (Talking Heads – Remain In Light – 1980)
Doing the Right Thing (American Utopia – 2018)
Toe Jam (The Brighton Port Authority – I Think We’re Gonna Need a Bigger Boat - 2009)
Born Under Punches (The Heat Goes On) (Talking Heads – Remain In Light – 1980)
I Dance Like This (American Utopia – 2018)
Bullet (American Utopia – 2018)
Gasoline and Dirty Sheets (American Utopia – 2018)
Like Humans Do (Look Into the Eyeball – 2001)
Blind (Talking Heads – Naked - 1988)
Burning Down the House (Talking Heads – Speaking in Tongues – 1983)
Encore:
Road to Nowhere (Talking Heads – Little Creatures – 1985)
The Great Curve (Talking Heads – Remain In Light – 1980)
Encore 2:
Hell You Talmbout (Janelle Monáe cover)
Cette critique a déjà été publiée en partie à l'époque du concert sur les blogs manitasdeplata.net et benzinemag.net