Band of Horses / Jain / The Kills / PJ Harvey - Samedi 26 Août 2017 - Festival Rock en Seine (Parc de St Cloud)
« C'est parfait, Rock en Seine, quand on peut arriver à l'ouverture des portes, peu après 14 h : malgré le temps plutôt agréable - chaud et humide (attention au risque d'averses comme hier...!) - il n'y a encore pas grand monde devant la Grande Scène où j'ai décidé de planter ma tente ce samedi. Je me place donc tranquillement quasi plein centre au premier rang, soit l'une des meilleures places que je n’aie jamais réussi à assurer à un festival… même si l’espace entre les barrières et la scène me semble avoir singulièrement augmenté cette année ! Le programme de la journée est parfait, avec un mélange de genre qui garantit le plaisir, et au milieu le concert des Kills, ceux pour qui je suis venu ce samedi.
15h15 : Ibibio Sound Machine est un groupe d'afro beat d’origine nigériane (via Londres quand même…), soit le mélange attendu de funk ethnique, de jazz cuivré (Fela n’est pas loin, et c’est tant mieux…) et de sons électroniques... mais avec une remarquable chanteuse devant : Eno Williams a tout ce qu'on aime, une voix soul puissante, un charisme souriant irrésistible, et, on s'en rendra compte en particulier sur l'avant dernier titre du set, une capacité rare à monter en intensité. Si je suis d'abord le set d'une oreille distraite, je dois dire qu'il est rapidement difficile de ne pas se laisser gagner par la frénésie rythmique et le bonheur de jouer de ISM ! Le guitariste est particulièrement impressionnant avec ses solos à proprement parler incandescents, les trois cuivres propulsent la machine vers l'avant, mais ce sont évidemment la batterie et les percussions qui modèlent cette musique et lui font atteindre les sommets. Eno harangue la maigre foule dans la lumière solaire de ce début d'après-midi, et le public la suit dans ses danses, ses bras dressés et ses envolées. Au bout de 40 minutes, tout le monde est heureux : quelle magnifique façon de commencer l’après-midi !
Band of Horses n'est pas un groupe à même de susciter un enthousiasme fou, avec sa touche indie US d’origine régulièrement noyée dans le rock américain bruyant le plus standard. Mais bon, comme je ne les ai jamais vus sur scène, c'est une bonne occasion de rattraper cette lacune. A 16h40, le quintet de l’affable Ben Bridwell démarre son set, et on se rend rapidement compte que leur musique est désormais d'une redoutable banalité, avec ses alternances d'arpèges "traditionnellement indies" et d'explosions de "violence" - trois guitares saturées, le batteur qui cogne comme un fou... - des plus convenues. Bon, autant ne pas le cacher, je me suis fait terriblement suer durant les 40 minutes du set de BOH (ils n'auront même pas joué la totalité du temps qui leur avait été imparti, c'est dire...). La voix singulière (en studio) de Bridwell n'a aucune magie sur scène, et les chansons, dont on reconnaît en effet la... "maturité" semblent dénuées de tout caractère. C'est le genre d'expérience live qui peut, un jour de déprime, faire penser que le Rock est une musique morte, sans pertinence ni impact émotionnel. Les deux derniers titres, Noone’s gonna Love You, et surtout l’emblématique The Funeral, titre-étendard de ce que fut un jour Band of Horses, sont accueillis par des applaudissements (soulagés ?) des "vrais fans" dans la foule : pour moi, ils ne font qu’accentuer encore les clichés qui ont précédé, et confirmer l'étendue de la déroute du groupe. Si ça durait plus longtemps, je crois que je pourrais en arriver à haïr ça !
Ce qui confirme l'hétérogénéité de la programmation de la grande scène, c'est que le public se renouvelle complètement après le set. Il n'y aurait donc pas de problème à atteindre le second ou le troisième rang, et j'espère que Clem et Virginie arriveront assez tôt pour me retrouver pour Jain... sans parler de l'amie Punk Chou ensuite pour the Kills.
Jain, j'étais passé à côté en 2015 et 2016, mais je trouve son album plutôt sympathique, entre sonorités africaines, intonations londoniennes (Lily Allen, le ska...?) et électro gentiment commerciale. Mais ce genre de cocktail instable passe rarement bien sur scène, il faut bien l'avouer, donc je ne place pas mes espoirs bien haut ! Je me suis assis pour reposer un peu mes vieilles jambes (encore que je me demande si la position assise n'est pas pire pour moi !), et quand je me relève dix minutes avant le set de Jain, j'ai un choc : la grande scène est quasi intégralement vide, si ce n'est un petit pupitre noir et blanc en plein centre. La Toulousaine ne semble pas avoir peur de se frotter seule aux milliers de spectateurs d'un festival comme Rock en Seine ! Un point pour elle !
18h20 : en effet, Jain est là, seule... oui mais pas pour longtemps ! Le temps d'une petite chanson (relativement) minimaliste, le temps d’un petit discours émouvant de débutante, le temps d'évoquer en nous le souvenir tendre des débuts de Lily Allen, le temps de nous faire croire à un spectacle "pur et dur", le temps de nous faire rêver... et puis les musiciens rentrent sur scène à leur tour, et puis les beats déferlent : tout cela n'était que du bluff, et on aura droit en fait à un très, très vilain show de variétés pour les neuneus (ça me rappelle furieusement Sheila chez Drucker, les plus jeunes ici ne peuvent comprendre…), où chaque chanson est l'occasion – jamais perdue - de faire lever les bras à la foule, de faire sauter les gens en l'air (« Jump ! Jump ! »). Une chose que Jain n’a visiblement pas compris, c’est que pour faire la fête, il faut d’abord que la musique mette les gens d’humeur à faire la fête. Que lever les bras, et sauter en l’air ne se décrète pas. Pire, ne se demande pas ! Non, le pire, ce n’est pas ça, c'est que tout le monde paraît ravi, que tout le monde lève bien gentiment les bras, que tout le monde obéit à la gentille animatrice façon Club Med, que tout le monde s’assied et saute en l’air. Oui, je suis à un concert pour les lemmings. Pas de musique : juste des bandes sur lesquels les musiciens font les clowns. Chaque chanson de l'album perd toute son originalité, sa délicatesse, pour devenir une interminable célébration électro de la bêtise humaine. L'irrésistible Come commence bien avec son riff à la guitare sèche, mais est lui aussi transformé en un immonde prétexte de faire le cirque. La voix de Jain n'est pas si mauvaise, mais elle est la plupart du temps couverte par les beats disproportionnés qui sont sensés donner du plaisir aux foules abruties par les basses. Une nouvelle chanson, Paris, présentée comme un hommage aux victimes des terroristes, semble amener un peu d'émotion bienvenue, jusqu'à ce qu'affiche sur les écrans les noms des victimes : là, excusez-moi mes amis, mais c’est un peu trop, non ? On en arrive enfin à Makeba, elle aussi massacrée par une intro en forme de manipulation des foules (ouh, oui !) et par une outro en singalong sans fin. Le final est l'occasion pour Jain de partir faire du crowd surfing protégée à l’intérieur d’une bulle géante qui l’isole du contact des mains du public : soit une image parfaitement adéquate de la société du spectacle de 2017 et du set de Jain. Le slamming inventé par Peter Gabriel en forme de sacrifice symbolique de l’artiste à la ferveur de ses fans, puis popularisé par les punks comme expression d’un geste destroy, est devenu une sorte de jeu à la Disneyland d’où tout risque est désormais exclu. Safe sex ! Et Jain de faire interminablement applaudir ses équipes, vu que c'est le dernier concert de la tournée. Et ça n'en finit pas. Je me sens au bord de la nausée. Voir ça à Rock en Seine, ça fait quand même mal au c... ! Une heure littéralement horrible, dont j'ai l'impression de sortir sali.
Heureusement il y a maintenant The Kills, soit l'antithèse absolue de toute cette merde. L'esprit rock'n'roll dans sa pureté et son romantisme originaux. Le public autour de moi a encore changé. Et en bien. Clem et Virginie m'apportent une petite bière pour me permettre de tenir, et je me sens déjà mieux.
20h05 : Alison et Jamie sont là, et moi, comme la plupart des gens qui m’entourent, je suis venu ici pour eux. Ils sont accompagnés par un batteur et un bassiste / claviériste discrets qui renforcent la musique sans jamais l'alourdir. L'excellente nouvelle, c'est que, malgré un dernier album un peu plus middle of the road, The Kills restent sur scène totalement fidèles à leurs principes de faire une musique raide, incandescente, dure... presque comme au premier jour. Si Alison et Jamie ne se font plus face comme naguère, et jouent maintenant plus conventionnellement chacun face au public, la complicité entre eux reste tangible, les sourires sont toujours là, peut-être plus sincères même... La danse sensuelle des chats sauvages est oubliée, mais le pur esprit rock'n'roll est intact. Il suffit de trois morceaux torrides – y compris Heart of a Dog en intro, pourtant extrait du dernier album, "Ash & Ice", mais transfiguré par l’interprétation au cordeau qui en est faite -, pour que tout soit oublié, la bêtise infinie du monde telle que Jain l'a incarnée pendant une heure. The Kills sont l'antidote à la médiocrité et le rock'n'roll sauve toujours des vies. Comme à l'époque d'Elvis. Ou du Velvet. Le set des Kills ce soir sera presque parfait, juste trop court. Black Balloon permet aux fans derrière moi de faire un lâcher de ballons noirs… sans que quiconque y prête la moindre attention… Il est vrai qu’il y aura quelques morceaux moins intenses au milieu du set, mais Jamie et Alison se reprennent vite, et le final est stratosphérique : Pots and Pans, martelé jusqu'à l'extase, puis Monkey 23, pour notre plus grand bonheur. La nuit est enfin tombée, les lumières sont belles, Alison - en blonde décolorée - superbement féline. Alison chante désormais sans aucune timidité et offre un show parfait, vocalement comme physiquement. Jamie se délecte visiblement de chaque son sorti de sa guitare, il rayonne littéralement de plaisir. A la fin, Alison allume - enfin - sa clope, Jamie fait son dernier riff, elle est à genoux devant lui, la tigresse insoumise, le visage rayonnant. Our life was saved by rock’n’roll. Rock'n'roll. On crie tous. La vie a donc parfois un sens.
Je me tâte pour savoir si je vais rester pour PJ Harvey, sachant que, a priori, ce sera à peu près le même spectacle que celui vu au Zénith il y a une dizaine de mois. Mais, placé comme je suis, je me dis que ce serait vraiment du gaspillage que de ne pas en profiter. Et bien m’en a pris, car PJ Harvey va nous offrir (m’offrir ?) ce soir une sorte de concert parfait, une merveille musicale au service d’une vision politique et humaine clairement affirmée. En fait, dans une direction pourtant bien distincte de celle des Kills, une affirmation haute et claire de l’importance de la Musique dans notre monde en plein naufrage. Une manière digne et sauvage à la fois de lever la tête, voire le poing lorsque nécessaire. Mais qu’est-ce qui a changé dans le "spectacle" de PJ Harvey et de ses neuf musiciens depuis 10 mois ? A 22 heures pile, quand débute la procession – batteries et cuivres – qui ouvre la cérémonie (certains accusent "The Hope Six Demolition project" d’être trop solennel, je comprends pourquoi mais cela ne me gêne pas outre mesure), je pense que, justement, rien n’a changé. Sauf que, rapidement, je trouve PJ elle-même beaucoup plus intense, moins "flottante" comme ce fut un peu le cas au Zénith : en fait, derrière la mise en scène très composée qui régit les ballets des musiciens, leurs changements d’instruments et de place, leurs interventions, on retrouve la PJ intense de ses débuts, même si c’est désormais dans une parfaite maîtrise de son art. Vocalement, le concert de ce soir fut prodigieux, servi en outre par un son parfait, ce qui n’est pas si courant que ça dans un festival. Les musiciens autour de PJ contribuent pleinement à la complexité de la musique, et surtout, contrairement à ce qui se passe généralement dans ce genre d’orchestre, ne se laissent jamais aller à la virtuosité : tout le monde ce soir est dans l’intensité, dans la concentration, dans l’épure, et c’est qui allège fantastiquement une musique qui a été pourtant construite dans la contestation politique, dans la démonstration de force.
Alors, quels furent les moments forts de ce set d’une heure et demi d’une folle générosité ? Je suppose que cela dépendra de la sensibilité de chacun : The Ministry of Defence reste une claque d’une incroyable dureté, The Words that Maketh Murder et surtout White Chalk transcendèrent les versions jamais entendues auparavant, The Wheel déchira littéralement la nuit avec ses solos de saxo dignes de "Fun House", 50ft Queenie montra que PJ pouvait toujours rocker et de manière particulièrement sauvage, To Bring You My Love dut amener les larmes aux yeux de bien des spectateurs devant la grande scène, culminant dans une sorte d’extase cérémonielle orgasmique. Et en rappel, nous eûmes même droit à une version particulièrement électrique de Highway 61 Revisited, une référence pas si absurde que ça pour la Polly de 2017, engagée politiquement et plus furieuse que jamais. Un set extraordinaire, de la part d’une immense artiste, et la meilleure conclusion possible pour ce second jour de Rock en Seine 2017.
Demain sera une aventure différente… »
Les musiciens de Band of Horses sur scène :
Ben Bridwell - vocals, guitar, pedal steel, keyboards
Creighton Barrett – drums
Ryan Monroe - keyboards, guitar, vocals
Matt Gentling – bass
+ guitar
La setlist du concert de Band of Horses :
Is There a Ghost (Cease to Begin – 2007)
The Great Salt Lake (Everything All the Time – 2006)
The General Specific (Cease to Begin – 2007)
NW Apt. (Infinite Arms – 2010)
Casual Party (Why Are You OK – 2016)
Solemn Oath (Why Are You OK – 2016)
Throw My Mess (Why Are You OK – 2016)
Laredo (Infinite Arms – 2010)
No One's Gonna Love You (Cease to Begin – 2007)
The Funeral (Everything All the Time – 2006)
La setlist du concert de Jain :
Hob (Zanaka – 2015)
Hope (Zanaka – 2015)
Heads Up (Zanaka – 2015)
Lil Mama (Zanaka – 2015)
Come (Zanaka – 2015)
Dynabeat (Zanaka – 2015)
Paris (new song)
Imposter Gadget (Zanaka – 2015)
Makeba (Zanaka – 2015)
La setlist du concert de The Kills :
Heart of a Dog (Ash & Ice – 2016)
U.R.A. Fever (Midnight Boom – 2008)
Kissy Kissy (Keep on your Mean Side – 2003)
Hard Habit to Break (Ash & Ice – 2016)
Black Balloon (Midnight Boom – 2008)
Doing It to Death (Ash & Ice – 2016)
Baby Says (Blood Pressure – 2011)
Tape Song (Midnight Boom – 2008)
Echo Home (Ash & Ice – 2016)
Siberian Nights (Ash & Ice – 2016)
M.E.X.I.C.O. (Midnight Boom – 2008)
Pots and Pans (Blood Pressure – 2011)
Monkey 23 (Keep on your Mean Side – 2003)
Les musiciens de PJ Harvey sur scène :
Polly Harvey – vocals, saxophone
John Parish – backing vocals, guitar, drums
Mick Harvey – backing vocals, bass, keyboards, guitar, drums
Jean-Marc Butty – backing vocals, drums, percussion
Terry Edwards – backing vocals, saxophones, percussion, keyboards, guitar
James Johnston – backing vocals, keyboards, violin, guitar, organ
Alain Johannes – backing vocals, guitars, percussion, saxophone
Kenrick Rowe – backing vocals, percussion
Enrico Gabrielli – backing vocals, percussion, bass clarinet
Alessandro Stefana – backing vocals, guitars
La setlist du concert de PJ Harvey :
Chain of Keys (The Hope Six Demolition Project - 2016)
The Ministry of Defence (The Hope Six Demolition Project - 2016)
The Community of Hope (The Hope Six Demolition Project - 2016)
Shame (Uh Huh Her - 2004)
All and Everyone (Let England Shake - 2011)
Let England Shake (Let England Shake - 2011)
The Words That Maketh Murder (Let England Shake - 2011)
The Glorious Land (Let England Shake - 2011)
Dear Darkness (White Chalk - 2007)
White Chalk (White Chalk - 2007)
In the Dark Places (Let England Shake - 2011)
The Wheel (The Hope Six Demolition Project - 2016)
The Ministry of Social Affairs (The Hope Six Demolition Project - 2016)
50ft Queenie (Rid of Me - 1993)
Down by the Water (To Bring You My Love - 1995)
To Bring You My Love (To Bring You My Love - 1995)
River Anacostia (The Hope Six Demolition Project - 2016)
Encore:
Highway 61 Revisited (Bob Dylan cover)
The River (Is This Desire? - 1998)