Neil Young + Promise of the Real - Jeudi 23 Juin 2016 - AccorHotels Arena (Paris)
« Il est possible de faire simple. Et concis. Du genre entrefilet dans le journal : « Ce jeudi 23 juin 2016, Neil Young a prouvé à 71 ans passés qu’il restait l’un des plus grands musiciens vivants, emportant l’AHA dans un long voyage électrique, et tutoyant régulièrement les sommets au cours d’un concert de près de 3 heures. Eric, sorti épuisé mais hilare et heureux de la fosse, nous déclare : « Putain, ça a encore envoyé des boulons ! (sic) ».
On peut aussi, pour le plaisir, revenir patiemment sur cette soirée mémorable à Bercy (« fuck l’AccorHotels Arena ! ») qui a rempli de bonheur une grande partie de la foule de fans massés devant la scène – on ne sait pas trop ce qu’ont pensé du déluge électrique les Parisiens prudemment assis dans les lointains gradins… Alors même, rappelons-le pour l’Histoire, que à quelques centaines de kilomètres de là, se jouait le psychodrame consternant de la sortie de la Grande Bretagne de l’UE…
78,50 Euros la place la moins chère, pour le voir dans ce hall de gare qu’est Bercy, il se mouche pas du pied, l’ami Neil ! Appeler sa tournée "Rebel Content", du coup, ça fait un peu foutage de gueule, non ? Mais bon, quand on aime, on ne compte pas, et, ayant loupé la tournée 2013 du fait de résidence au Brésil, il n’était pas question pour moi de ne pas être là ce soir, et si possible au premier rang (et ce d’autant que le groupe des frères Nelson qui accompagne désormais le Loner lui a donné un bon petit coup de jeune, comme en témoigne le dernier album, "The Monsanto Years", plutôt réussi…).
Arrivée à 17 heures devant l’entrée de la fosse de Bercy, il fait 35 degrés, et la foule n’est pas trop nombreuse devant moi, ça se présente bien. 18h45, on nous laisse entrer, après une fouille relativement plus sérieuse qu’à l’habitude, un petit sprint, et, victoire, me voici au premier rang, sur la barrière, sur la gauche, ce qui s’avérera une place idéale, autant pour le son – fort et excellent ! – que pour la vue, Neil étant en général tourné du côté gauche… mais aussi pour la compagnie, puisque – et c’est assez exceptionnel en fait – je me retrouve entouré de plusieurs fans – mâles et femelles – charmants et tout à fait prêts à tailler le bout de gras. Ça change des habituelles attentes anonymes dans les salles parisiennes : le Loner a un BEAU public, des gens de tous âges (même si la moyenne d’âge est évidemment élevée) qui partagent une passion sincère et honnête pour une musique viscérale, puissante, qui véhicule en outre des messages politiques qui n’ont rien de ridicule ni de prétentieux.
19h45 : non, zut, il y a une première partie, et en plus des Français ! Ça commence d’ailleurs très mal avec un solo interminable d’harmonica, pénible pour mes oreilles mais visiblement plaisant pour le reste de la salle. Charles Pasi, accompagné par un guitariste acoustique, renversera néanmoins immédiatement cet a priori défavorable en entonnant sa première chanson, et en dévoilant une voix assez remarquable. Les chansons sont belles, entre blues, soul et rock-variété agréable, manquant toutefois un peu de relief, mais Charles est un vrai chanteur, passionnant et fascinant, avec une belle présence scénique. Cela ne durera que quelques courtes 25 minutes, Charles nous ayant promis d’être bref, mais pour une fois, on aurait bien signé pour 10 minutes de plus.
20h45 : De jeunes paysannes sèment à tout vent sur la scène (mais quoi ?...), et Neil Young entre, seul dans l’obscurité, s’installe au piano en face de moi, et attaque After the Goldrush. Deux constatations s’imposent : les dernières années l’ont marqué sévèrement, il est maintenant le "Old Man" de sa célèbre chanson ; pourtant sa voix reste belle, singulière dans sa féminité et sa capacité à évoquer des émotions déchirantes, même s’il a – logiquement – quelques difficultés à monter aussi haut qu’avant, ce qui nécessite une petite ré-écriture de certains passages. Peu éclairé, son chapeau lui dissimulant le visage, Neil fait enrager les photographes professionnels auxquels il a interdit en outre, via le service d’ordre, de se déplacer devant la scène : pas un cadeau, le Neil ! L’intro acoustique se poursuit à la guitare avec les classiques inévitables (The Needle and the Damage Done, joué avec moins de virtuosité technique qu’autrefois, ne suscite plus grand-chose après toutes ces années), et se termine à l’orgue avec une interprétation forte en émotion de Mother Earth.
Bon, passons aux choses sérieuses…, une équipe de désinfection en tenues étanches passe toute la scène aux fumigènes, et Promise of the Real rejoignent leur boss. Lukas Nelson se place juste devant moi, ce qui est sympa, car il n’est pas un manche non plus sur sa gratte. Et là, la surprise, c’est que Neil nous offre avec ses nouveaux acolytes une sorte de re-visite "de luxe" d’extraits de "Harvest", soit son œuvre la plus populaire : Out on the Weekend (quelle intro, on a les yeux qui piquent…), Old Man (toujours une chanson bouleversante, dont on ne se lasse pas), puis Alabama et Words, qui lui permettent de saisir pour la première fois une guitare électrique. Ce sont sans doute les meilleures versions qu’on ait pu entendre en live de ces chansons, avec une fidélité étonnante à l’esprit originel, mais également le nécessaire sentiment d’actualité procuré par un groupe jeune et enthousiaste. Je remarque – et m’étonne de voir – combien Neil semble détendu et joyeux avec ses compagnons qui ont moins de la moitié de son âge : s’il reste incontestablement le patron de la bande, il y a une sorte de bienveillance dans la manière dont il interagit avec Lukas, Micah ou Corey qu’on aurait eu bien du mal à trouver avec Crazy Horse. A noter une pause sympathique avec une interprétation puissante de la Vie en Rose par Lukas au piano : le bougre a une très belle voix, qui compense son français plutôt approximatif. Un hommage bien gentil à la France de la part de Neil, qui s’essaiera plusieurs fois à dire quelques mots en français, nous confiant qu’il avait eu une "French Canadian Girlfriend"…
Mais revenons à Words, la magnifique Words, qui soudain s’envole alors que Neil prend l’un de ses solos durs et lyriques dont il a le secret : Lukas et Corey l’appuient, le secondent, le trio s’est mis de lui-même en cercle, exactement comme le faisait le Crazy Horse à la grande époque, et cette sorte de danse rituelle des musiciens enroulés dans les volutes musicales des guitares produit sa sorcellerie. Le son monte, la puissance émotionnelle se décuple, les spectateurs se mettent spontanément à crier d’excitation, voilà notre premier GRAND MOMENT ELECTRIQUE de la soirée. Il est 21h45, le concert a commencé depuis une heure, l’AHA décolle à la verticale, Neil est à nouveau stratosphérique : si j’avais quelques minutes auparavant le sentiment d’assister un très beau concert un peu trop lisse et gentil, tout cela est balayé par l’évidence imparable de la furie électrique. Sublime.
… Et la machine est donc lancée, nous sommes passés de "l’autre côté de la Force", sans que l’on puisse qualifier ça de côté obscur, tant le plaisir est vif. Neil s’empare – enfin ! – de sa célèbre Les Paul noire, et on sait que ça va D E M E N A G E R !! Neil se lance dans une version de Winterlong qui évoque plutôt la reprise que les Pixies en ont fait, puis dans une interprétation assez fausse de… If I Could Have Her Tonight, soit le genre de perle inattendue qui fait le sel de cette soirée (oui, il y aura pas mal de morceaux rarement voire jamais joués sur scène auparavant, enfin, avant cette tournée…). Neil rigole en répétant combien ils ont mal joué, ce qui est aussi une nouveauté, et lance le summum de la soirée : on pronostiquait Love and Only Love, et ce sera… Love to Burn, autre déluge électrique du mémorable "Ragged Glory"… Qui va s’allonger ce soir sur plus de 30 minutes ! Le groupe sur scène n’a maintenant plus rien à voir avec celui qui interprétait il y a peu les chansons de "Harvest" de manière parfaite, c’est un tourbillon furieux qui se forme sous nos yeux : mieux encore que Crazy Horse, car plus léger, plus énergique, mais tout autant au service des grandes chansons du Loner, servant d’appui aux soli de Neil, mais sachant également relancer l’énergie de Love to Burn vers les sommets. Oui, ce sont 30 minutes parfaites, 30 minutes de bonheur électrique intense, que Neil est l’un des seuls à savoir nous donner de manière aussi… infaillible ! Un grand, grand moment, qui renouvelle pour encore dix ans la foi qu’on a en lui. Une foi qui brille dans tous les yeux autour de moi. Il y a de la joie, de l’émotion, de la fierté aussi d’être là pour partager ses moments d’incroyable intensité. Et, tant qu’on est à "Ragged Glory", on enchaîne avec un Mansion on the Hill presque aussi cinglant !
La seconde partie du concert restera toute électrique, Neil s’aventura alors dans des recoins jusqu’alors peu explorés en live de sa longue discographie : je n’avais jamais entendu Vampire Blues par exemple sur scène, ni After the Garden (l’occasion pour Neil de nous complimenter pour la beauté de nos fermes françaises, qu’il a vu à travers la fenêtre du bus de la tournée…), ni Country Home, ni surtout I’ve Been Waiting for You, seconde résurgence, plus maîtrisée cette fois, et assez impérieuse, de son premier album solo, qui date quand même de… 1969 !
Et on en arrive à la fin du set, et le troisième grand moment de la soirée, un Rockin’ in the Free World puissant, lourd et totalement épique, qui fait lever une forêt de bras et fait crier tout le monde : cette chanson a souvent été critiquée pour être "trop évidente", mais j’aime penser ce soir que Neil la chante avec nous en l’hommage de nos frères et nos amis qui étaient au Bataclan le 13 novembre dernier. Je crois ne pas être le seul, l’émotion est forte, la joie aussi. Eh oui, comme ils disent à "Rock & Folk", le Rock c’est ça, tout simplement !
Les musiciens ont apporté une corbeille de cerises qu’ils dégustent et dont ils nous jettent des poignées. Original, non ? Mais ce sont les fameuses cerises psychédéliques françaises, crie Neil ! Hein ?
Le rappel sera presque juste pour moi, pour me faire plaisir : Like An Inca, que nul ne semble connaître autour de moi, une chanson que j’adore personnellement, et que Promise of the Real joue avec un léger swing qui l’élève définitivement vers le sommet. La première fois – et la seule – où je l’ai entendue sur scène, c’était en 1982 : 35 ans déjà, 35 ans qui ont passé sans qu’on s’en rende vraiment compte, même si la silhouette de Neil aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de l’époque… Mais… non, qu’est-ce que j’allais dire ? Sur scène, après trois heures de concert intenses, je vois un tout jeune homme en train de sauter en l’air (de joie, d’excitation), en formant un cercle avec ses amis qui semblent avoir exactement le même âge que lui. Alors, en quittant Bercy ce soir, je sais une chose : en plus d’être une musique toujours aussi vitale, essentielle, merveilleuse en cette seconde décennie du XXIème siècle, le Rock est aussi une fontaine de jouvence. Plongez-y avec Neil, et maintenant… dansez ! »
Les musiciens de Neil Young & Promise of the Real sur scène :
Neil Young – vocals, piano, organ, harmonica, guitars
Lukas Nelson – vocals, guitar, piano
Anthony Logerfo – drums
Tato Melgar – percussions
Corey McCormick – bass, vocals
Micah Nelson - guitar, banjo, piano, vocals
La setlist du concert de Neil Young & Promise of the Real :
Solo intro to the set
After the Gold Rush (After the Goldrush – 1970)
Heart of Gold (Harvest – 1972)
The Needle and the Damage Done (Harvest – 1972)
Comes a Time (Comes a Time – 1978)
Mother Earth (Natural Anthem) (Ragged Glory – 1990)
with Promise of the Real
Out on the Weekend (Harvest – 1972)
Old Man (Harvest – 1972)
Human Highway (Comes a Time – 1978)
La vie en rose (Édith Piaf cover) (Piano and vocals Lukas Nelson)
Someday (Freedom – 1989)
Alabama (Harvest – 1972)
Words (Between the Lines of Age) (Harvest – 1972)
Winterlong (Decade – 1977)
If I Could Have Her Tonight (Neil Young – 1969)
Love to Burn (Ragged Glory – 1990)
Mansion on the Hill (Ragged Glory – 1990)
Western Hero (Sleeps with Angels – 1994)
Vampire Blues (On the Beach – 1974)
After the Garden (Living with War – 2006)
Country Home (Ragged Glory – 1990)
Everybody Knows This Is Nowhere (Everybody Knows This Is Nowhere – 1969)
I've Been Waiting for You (Neil Young – 1969)
Rockin' in the Free World (Freedom – 1989)
Encore:
Like an Inca (Trans – 1982)
Chronique déjà partiellement publiée sur mon blog manitasdeplata.net