David Bowie - Vendredi 26 Mai 1978 - Palais des Sports de Gerland (Lyon)
Bowie, ah Bowie… ! Y a-t-il un artiste plus important pour moi en 1978 ? Depuis ce jour miraculeux de 1972 où j’ai découvert “The Rise and Fall of Ziggy Stardust”, chacun de ses albums est un événement majeur de ma vie. Si les albums “Low” et “Heroes” ont représenté une évolution majeure du style musical de Bowie (encore une… il y avait déjà eu la rupture soul de “Young Americans”…), il reste l’Artiste le plus passionnant et le plus fascinant de la décennie.
Nous avons réussi à avoir des billets pour le concert du vendredi soir à Lyon (son Isolar II World Tour passait aussi par Paris…), et nous voici donc dans la fosse, tremblant d’impatience à l’idée de découvrir enfin “en vrai” la Star absolue de nos vies.
Ce sont comme des cloches qui résonnent, lourdement… Non, c’est… Warszawa, le superbe morceau de la seconde face de “Low”, que j’aime beaucoup : pourtant, ce soir il fait office de simple introduction attendant que les choses… sérieuses commencent. Et à la fin, LA VOIX s’élève, accueillie par nos cris : il est enfin là, c’est… Heroes, cette chanson archi-sublime sur laquelle s’envole enfin, impeccable, impressionnante, Bowie : « ‘Cause we’re lovers / and that is a fact… ».
Nous ne sommes pas loin du premier rang, au milieu du chaos de la fosse, essayant désespérément de voir Bowie le mieux possible, comme des centaines de fans enamourés autour de nous. La scène est entourée de néons fluorescents, qui l’entourent, l’enserrent comme les barreaux d’une cage, et qui vont pulser, plus ou moins vite, au tempo des chansons. Et, oui, Bowie est beau en vrai, comme sur ses photos - dont la diffusion est contrôlée pour empêcher la banalisation de son image. Bowie est clairement dans une position de contrôle total de sa musique, de sa voix, de sa gestuelle, ce qui le distingue du commun des rock stars (il suffit de comparer sa maîtrise du spectacle à la générosité physique d’un Peter Gabriel, que nous avons vu sur scène il y a peu de temps). Bowie danse pour nous une sorte de chorégraphie un peu raide : il nous en régale avec partialité et avec minutie. Bowie communique peu avec nous, juste un « merci » de temps en temps : il n’est plus question de s’offrir à ses fans comme on imagine qu’il le faisait en 1972 : Ziggy Stardust est mort et enterré…
Les chansons des deux derniers albums s’enchaînent, interprétées par un groupe littéralement impérial – le trio Alomar – Murray – Davis, fondamental depuis “Station to Station”, auquel Bowie a adjoint l’ex-Zappa Adrian Belew pour les solos de guitare “à la Robert Fripp” : les fragments conceptuels de la première face de “Low” deviennent sur scène de véritables morceaux, rallongés, et largement portés par la guitare déchaînée de Belew… Au milieu, déboule Jean Genie dans une version accélérée et vaguement funky, très loin de “Aladdin Sane” (dont ce sera le seul morceau interprété ce soir…) : je me rends alors compte que j’ai du mal à entrer complètement en transe… Bowie est froid, indiscutablement, il n’est pas un show man typique au sens rock du terme, plutôt un artiste délivrant une performance conçue, répétée et livrée dans un souci de perfection glaciale… Et du coup, même les chansons que nous adorons paraissent jouées et chantées derrière une vitre épaisse, comme déréalisées. Ou bien c’est peut-être que notre attente était trop forte, et qu’une certaine déception est inévitable ?
Après un Black Out puissant, l’intensité retombe sur l’intermède instrumental de Sense of Doubt, et je me demande : aussi belle que soit la seconde face de “Low”, est-ce pertinent de l’interpréter sur scène ? Heureusement, Fame remet vite de l’ambiance : c’est la fête à Carlos Alomar qui reprend le lead ! Après un Beauty and the Beast qui ronronne un peu trop, Bowie annonce dix minutes d’entracte.
Et puis, alors que nous ne nous y attendions pas… cette batterie métronomique en intro de la seconde partie du set, alors que Bowie présente ses musiciens… « Pushing through the market square… »… Oui, c’est l’inoubliable Five Years ! je hurle avec tout le monde, le concert vient de basculer pour moi. C’est “Ziggy Stardust” ! Six chansons de L’ALBUM ABSOLU jouées dans l’ordre, interprétées dans des versions finalement assez proches des originales. Bowie retrouve sa voie d’E.T. cockney, loin du timbre de crooner élégant des derniers albums. Bien sûr, la rythmique Murray / Davis a quelque chose de légèrement swinguant qui confirme que les temps ont changé, et Belew n’a pas le même style que Mick Ronson, il est plus… froid. Hang On to Yourself est néanmoins toujours la même bombe : Gerland décolle enfin… Et puis, après un Ziggy Stardust acclamé et un Suffragette City roboratif, mais légèrement en deçà de mes attentes, évidemment déraisonnables… « Suffragette ! »… l’enchaînement s’arrête là, logiquement, avant Rock’n’Roll Suicide, une chansonqui n’aurait plus aucune pertinence à une époque où Bowie célèbre plutôt la résistance amoureuse au flux de l’histoire (ces amants de Heroes qui s’embrassent devant le Mur) que le nihilisme pré-punk.
Je dois avouer que, à partir de là, Bowie a gagné, mon cœur est conquis, mon scepticisme ne pèse plus très lourd. D’ailleurs lui-même semble s’être “réchauffé” et ses sourires aux premiers rangs paraissent moins convenus, moins crispés. Art Decade nous fait encore patienter avant le dernier “gros morceau” : car il est temps de terminer cette nuit, qui restera forcément dans nos mémoires, par le monstrueux Station To Station, célébration en noir et blanc du magnifique Thin White Duke : « There are you, you drive like a demon from station to station ! ». Le groupe est désormais une véritable machine infernale, et le final est paroxystique : « It's too late, it's too late, it's too late, it's too late »… Non, ce n’est pas trop tard, définitivement pas trop tard… pour aimer David Bowie ! Mais pour ce soir, on s’approche de la fin, David et ses musiciens quittent la scène, le fracas dans le Palais des Sports est assourdissant.
L’intro de Stay lance le rappel dans un funk intense, et Belew part en vrille, avant que la voix de Bowie, très suave, magistrale, ne calme le jeu... Le final est frénétique, et on enchaîne avec Rebel Rebel, qui – « la la la » obligent - est devenu avec les années une sorte de parodie vaguement cruelle du rock basique (stonien) duquel Bowie est désormais très loin… Et c’est fini !
Une heure et demie avec Bowie, notre petit moment de luxe de cette année 1978, qui se termine… Nous quittons Gerland à la fois assommés (c’était Bowie, bon dieu), mais aussi unanimes dans notre analyse : c’était magnifique, mais ça a été long à démarrer, et ça a manqué trop longtemps de chaleur…
Pas de photos disponibles de ce concert, nous nous rattraperons avec de magnifiques clichés pris ailleurs pendant la tournée Isolar II...
Les musiciens de David Bowie sur scène :
David Bowie - vocals, chamberlin
Adrian Belew - lead guitar, backing vocals
Carlos Alomar - rhythm guitar, backing vocals
George Murray - bass guitar, backing vocals
Dennis Davis - drums, percussion
Roger Powell - keyboards, synthesizer, backing vocals (except 11–14 November 1978)
Sean Mayes - piano, string ensemble, backing vocals
Simon House - electric violin
La setlist du concert de David Bowie :
Warszawa (Low – 1977)
"Heroes" (Heroes – 1977)
What in the World (Low – 1977)
Be My Wife (Low – 1977)
The Jean Genie (Aladdin Sane – 1973)
Blackout (Heroes – 1977)
Sense Of Doubt (Heroes – 1977)
Breaking Glass (Low – 1977)
Fame (Young Americans – 1975)
Beauty And The Beast (Heroes – 1977)
Five Years (Ziggy Stardust – 1972)
Soul Love (Ziggy Stardust – 1972)
Star (Ziggy Stardust – 1972)
Hang On To Yourself (Ziggy Stardust – 1972)
Ziggy Stardust (Ziggy Stardust – 1972)
Suffragette City (Ziggy Stardust – 1972)
Art Decade (Low – 1977)
Station to Station (Station to Station – 1976)
Encore:
Stay (Station to Station – 1976)
Rebel Rebel (Diamond Dogs – 1974)