The Rolling Stones - Mercredi 9 Juin 1976 - Palais des Sports de Gerland (Lyon)
La fin de l’année scolaire approche, avec les concours et le stress final venant couronner deux ans de Taupe au Lycée du Parc... C’est donc a priori la fin de mes années lyonnaises... Deux semaines après les Who, ce sont les Rolling Stones qui passent par Lyon, au milieu d’une tournée accompagnant la sortie de leur assez médiocre nouvel album, “Black and Blue”.
Je ne vénère pas les Stones comme je vénère les Who, mais on ne refuse pas un rendez-vous avec ceux qui, il y a encore peu, étaient qualifiés de “meilleur groupe de rock du monde” ! Me voici donc à nouveau à Gerland, et à nouveau au milieu de la fosse, sauf que l’expérience va encore être physiquement plus difficile que pour les Who. Il semble que des milliers de groupies se pressent hystériquement devant la scène, tentant de gagner quelques centimètres qui leur permettront d’approcher de plus près Mick Jagger, et qui sait ?, d’être remarquée par le Dieu Vivant du rock...
Le concert débute sur le riff parfait de Honky Tonk Women, et malgré mes réticences initiales, je dois dire que je suis sacrément heureux d’être ici ! Le son est assez moyen, on est très loin de la puissance de feu des Who au même endroit, mais cet aspect chaotique convient naturellement à la musique déchirée des Glimmer Twins. Jagger et Richards accélèrent avec If You Can’t Rock Me, mais derrière Jagger, on a quand même l’impression que chaque musicien joue son truc de son côté, et qu’il est difficile à la chanson d’émerger – un petit coup de percussions par-ci, un solo de l’ami Billy Preston par-là, on s’éparpille, et quand on débouche, presque par enchantement, sur Get Off of My Cloud, on peine à ressentir l’excitation qui devrait être de mise. C’est encore à Jagger qu’incombe la responsabilité de tenir la maison Stones grâce à sa seule voix…
« De nouvelles chansons pour vous ce soir, la première s’appelle The Hand of Fate » : le français de Mick est plutôt bon… On ne peut pas en dire autant de Hey Negrita (avec Jagger qui roule les rrrr !), autre extrait du dernier album, “Black and Blue”, qui vient juste de sortir, et donne un sentiment de bastringue bringuebalant indigne des Stones. « Mais qu’est-ce qu’il fait chaud ! », se plaint Jagger, qui semble bien essoufflé ce soir. On en arrive à ce qui sera certainement le pire moment du concert, l’épouvantable Fool to Cry, qui constitue pour moi à elle seule la preuve que quelque chose ne fonctionne plus chez les Stones : simpliste au point d’être ringarde, une chanson qui manque de tout ce qu’on attend des Stones, de magie, d’intensité, d’élégance, de perversité… Les guitares de Keith et Ron chantent à l’unisson mais le falsetto de Jagger est insupportable. Passage funk insipide avec Hot Stuff, autre catastrophe du dernier album, malgré la promesse de Jagger qui nous annonce que ça allait chauffer : Billy Preston mène la danse, mais nous, on vient voir les Stones pour les guitares, pas pour les claviers…
Ah ! Enfin, un riff à la Chuck Berry : Starfucker !!! On reprend espoir, aurions-nous bu le calice jusqu’à la lie, et allons-nous maintenant retrouver les Stones que nous aimons ? On admire Keith dans ses œuvres, et là, forcément, on est contents de voir et d’entendre ça. Il nous semble même au bout d’un moment que les musiciens jouent… ensemble ! Angie fait ensuite crier toutes les minettes dans la salle, et nous, on patiente, on attend le retour dans le temps, le moment où arriveront, inévitablement, les morceaux de “Exile on Main Street”, “Sticky Fingers” et “Let It Bleed”. « Ain’t it Good To Be Alive? They can’t say we never tried ! »
You Gotta Move, l’un de mes titres préférés de “Sticky Fingers”, fonctionne bien, avec ses chœurs gospel et Keith qui rappelle enfin qui est le patron ! « I saw her today at the reception / A glass of wine in her hand / I knew she would meet her connection / At her feet was her footloose man… », Jagger entame l’extatique You Can’t Always Get What You Want : ça y est, je suis dedans. Je m’engage dans un périple difficile au milieu de la foule compacte, direction les premiers rangs : il me faudra de la patience, de l’astuce aussi pour me frayer un chemin et pour arriver – en une bonne demi-heure quand même – enfin à quelques mètres seulement de Mick. « Vous voulez chanter avec nous ? Allez, on y va ? Encore une fois ! » Jagger façon animateur de show télévisé, on est loin de la sympathie pour le diable : no, you can’t always get what you want !
« Maintenant, Keith Richards va chanter pour vous ! » Ouf, nous aussi on a besoin d’amour pour être heureux ! Keith chante, comme toujours, comme une casserole, mais Happy, c’est ça, c’est vraiment les Stones. Je profite du chaos qui grandit devant la scène pour progresser encore de quelques mètres. Tumbling Dice confirme qu’on est bien là où l’on voulait être, le bonheur est bien à portée de la main… Sauf que… arggh, « C’est à toi maintenant, Billy !... », on nous balance maintenant deux chansons de Billy Preston, histoire de bien repartir à zéro ! No comment !
Je suis enfin arrivé devant, juste à temps pour vivre ce qui restera mon meilleur souvenir de la soirée : déchirures d’harmonica, « I talk about the Midnight Rambler ! », une version tour à tour enragée puis très lascive du génial Midnight Rambler : Jagger est à fond, il fouette le sol avec son ceinturon pour figurer la violence sexuelle de la chanson… Un tantinet forcé, mais effet garanti ! Pendant plus d’une dizaine de minutes, on saisit combien les Stones étaient grands cinq ans plus tôt… et combien il faut leur pardonner de ne pas avoir su le rester.
Et c’est la dernière ligne droite du concert, qui enchaîne It's Only Rock'n'Roll, Brown Sugar, Jumpin' Jack Flash et Street Fighting Man, excusez du peu ! Malheureusement, à partir de Jumpin’ Jack Flash, le chaos semble avoir gagné aussi bien le parterre du Palais des Sports que la scène, et personne ne semble plus vraiment en condition ni de jouer ni d’écouter ces chansons immortelles. On finit tous à genoux, physiquement épuisés…
Un peu moins d’1h40 de montagnes russes stoniennes, avec plus de bas que de hauts… Musicalement, on était souvent loin de la fulgurance du live “Get Yer Yaya’s out” : il a fallu au Stones une bonne quarantaine de minutes avant d’atteindre leur plein régime, et même là, ce n’était pas la grâce, ce soir… Est-ce l’arrivée récente de Ronnie Wood, pas encore intégré ? Est-ce la prépondérance nouvelle des claviers de Billy Preston et Ian Stewart ? Est-ce moi qui suis arrivé sceptique et ai eu du mal à me mettre dans le bain ?
Bref, ce premier rendez-vous avec les Glimmer Twins, s’il restera forcément dans ma mémoire, n’aura rien eu d’exceptionnel musicalement !
Les musiciens des Rolling Stones sur scène :
Mick Jagger - lead vocals, guitar, harmonica
Keith Richards - guitar, backing vocals
Ronnie Wood - guitar, backing vocals
Bill Wyman - bass guitar
Charlie Watts - drums, percussion
Billy Preston – piano, orgue
Ian Stewart - piano
Ollie Brown - percussion
La setlist du concert des Rolling Stones :
Honky Tonk Women (Single – 1969)
If You Can't Rock Me (It’s Only Rock’n’Roll – 1974) / Get Off of My Cloud (December’s Children – 1965)
Hand of Fate (Black and Blue – 1976)
Hey Negrita (Black and Blue – 1976)
Ain't Too Proud to Beg (The Temptations cover) (It’s Only Rock’n’Roll – 1974)
Fool to Cry (Black and Blue – 1976)
Hot Stuff (Black and Blue – 1976)
Star Star (Goat’s Head Soup – 1973)
Angie (Goat’s Head Soup – 1973)
You Gotta Move (Mississippi Fred McDowell cover) (Sticky Fingers – 1971)
You Can't Always Get What You Want (Let It Bleed – 1969)
Happy (Exile on Main St. – 1972)
Tumbling Dice (Exile on Main St. – 1972)
Nothing from Nothing (Billy Preston song) (performed by Billy Preston)
Outa-Space (Billy Preston song) (performed by Billy Preston)
Midnight Rambler (Let It Bleed – 1969)
It's Only Rock 'n' Roll (But I Like It) (It’s Only Rock’n’Roll – 1974)
Brown Sugar (Sticky Fingers – 1971)
Jumpin' Jack Flash (Single – 1968)
Street Fighting Man (Beggar’s Banquet – 1968)