FEWS - Samedi 23 Mars 2019 - Boule Noire (Paris)
Le retour de mode du post-punk (ce qu’on appelait plutôt cold wave d’ailleurs à l’époque en France, me semble-t-il…) n’en finit pas de ne pas passer : sans doute cette sourde angoisse existentielle, illustrée par des atmosphères menaçantes qui laissent régulièrement percer des explosions de violence froide, née à l’origine dans l’Angleterre thatchérienne laminée par le libéralisme agressif de la Dame de Fer, est-elle encore plus pertinente dans un XXIème siècle accablé de cauchemars en tous genres…
Toujours est-il que le “modèle Joy Division”, dirons-nous pour faire simple, reste à peu près incontournable quand il s’agit d’exprimer nos angoisses, que l’on vienne d’Angleterre, de France ou de… Suède, comme les vaillants FEWS qui nous occupant aujourd’hui. Suivant l’exemple “Rock pur et dur“ des débuts de Joy D et surtout New Order, justement, FEWS est un groupe qui chérit l’anonymat, dont les membres s’effacent derrière leur musique : peu de photos du groupe, des interviews rares et apparemment difficiles, les musiciens s’avérant apparemment assez ingérables, tout est dans la musique, urgente, tranchante et obsessionnelle. Pas vraiment la recette du succès, tout cela, et, malgré une première partie des Pixies il y a plus de deux ans qui avait frappé l’imagination, le groupe n’a pas encore vraiment trouvé son public en France. D’où une Boule Noire qui tardera à se remplir ce soir, et un concert qui au final ne sera pas “sold out“.
20h10 : la première partie est assurée par un groupe français qui commence à faire un petit buzz, Gavagaii, trio guitare / batterie / voix qui fait dans le punk rock non conventionnel : une musique brisée, aux angles aigus et sans structure rassurante (adieu, couplets et refrains, goodbye mélodies !), portée par une guitare extrêmement agressive et par un chanteur charismatique, au jeu de scène tourmenté et spectaculaire. Avec, cerise sur le gâteau, mais qui change quand même pas mal de choses, un humour acide qui ajoute juste ce qu’il faut de second degré dans une musique qui pourrait sinon paraître nombriliste, voire hautaine. Les fans de Gavagaii sont venus en nombre, l’ambiance est chaude et bon enfant, le groupe arrive sans peine à faire monter la pression, voire à installer par instants une légère hystérie de bon aloi. Au premier rang, autour de moi, je lis la satisfaction sur pas mal de visages : Gavagaii nous offre 40 minutes assez passionnantes, et encore une fois la preuve de la vitalité du Rock français en 2019.
21h10 : Ce qui est très sympa, c’est qu’on voit immédiatement que les musiciens de FEWS ont envie de jouer : alors qu’ils installent eux-mêmes leur matériel, le chanteur-guitariste à l’allure joviale (et au style capillaire original…) semble ne pas tenir en place, et particulièrement impatient de venir en découdre ! Ce qui nous change de l’arrogance imbécile de bien des jeunes groupes… L’autre bonne nouvelle, c’est que FEWS a accepté apparemment un peu de lumière sur la scène, ce qui nous permettra au moins de les voir et de prendre quelques photos, à la différence de leur passage au Zénith en 2016 !
Le concert démarre sur les chapeaux de roue avec un titre que je ne connais pas, mais se concentrera ensuite en quasi-intégralité sur les titres de l’excellent nouvel album du groupe, “Into Red“ : finalement, le principe conducteur de la musique de FEWS est clair, il s’agit de dynamiser le post-punk (tout en en conservant les caractéristiques les plus significatives, basse lourde, chant emphatique et guitare parcimonieuse mais facilement lyrique) en lui injectant une bonne dose de krautrock, voire de “motorik“ comme on disait à l’époque. Cette répétitive hypnotique, exacerbée sur scène par rapport aux versions studio des morceaux, porte la musique de FEWS vers d’occasionnels sommets de transe, et, lorsque le groupe accélère le rythme, elle devient particulièrement jouissive.
Il est d’ailleurs étonnant de regarder la manière dont les musiciens jouent : aucun des quatre (deux guitaristes, un bassiste, un batteur) n’apparaît particulièrement virtuose, tout semble très peu technique, les riffs des deux guitares ont l’air excessivement simplistes, mais l’interaction entre tout cela produit un motif que l’on peut qualifier de particulièrement harmonieux, ou au moins de très efficace et entraînant. Il y a indiscutablement de la magie dans cette opération, et chaque chanson – ou presque, il y a quand même un petit passage à vide au milieu du set – transcende littéralement ses différents ingrédients. Le public de la Boule Noire est ravi, cela bouge même un peu au milieu, et les musiciens, souriants et décontractés, paraissent eux aussi apprécier la bonne ambiance de la soirée. Bref, ce n’est parce qu’on joue de la musique sombre et urgente qu’il faut faire la gueule, hein ?
On en arrive au bout du set, avec le morceau que tout le monde – enfin, moi – attend : Ill, le final paroxysmique (d’ailleurs au Zénith, j’avais pensé à ce moment-là au fracas shoegaze de My Bloody Valentine…) offert par ce long morceau totalement hypnotique et trépidant, qui résume parfaitement ce qu’il y a de meilleur chez FEWS. Voilà, c’est déjà fini, ça n’a duré qu’une petite heure, mais c’était parfaitement jouissif.
Il est difficile de dire si une musique aussi ambitieuse, exigeant avant tout que le public se laisse complètement aller dans les boucles rythmiques et les riffs tissés par les deux guitares, pourra rencontrer un succès moins confidentiel, mais il est certain qu’au prochain passage de FEWS à Paris, nous serons là dans la salle.
La setlist du concert de Gavagaii :
LDnA
The Tool
Mullethead
Greetings from the Woods
Night on a Bench
You're Fired
Elephant
Eeeeeeeeeeeerrr
The Flu
Les musiciens de FEWS sur scène :
David Alexander—vocals, guitar
Frederick "Fred" Rundqvis—guitar, vocals
Lulu—bass
Rasmus "Rusty" Andersson—drums
La setlist du concert de FEWS :
Laguardia (Single – 2017)
Over (Into Red – 2019)
Paradiso (Into Red – 2019)
Drinking Games (Means – 2016)
Limits (Into Red – 2019)
More Than Ever (Into Red – 2019)
97 (Into Red – 2019)
The Zoo (Means – 2016)
100 Goosebumps (Means – 2016)
Business Man (Into Red – 2019)
If Things Go On Like This (Means – 2016)
Metal (Gary Numan cover - Single - 2017)
Anything Else (Into Red – 2019)
Fiction (Into Red – 2019)
Ill (Means – 2016)
Cette chronique a été déjà été publiée, au moins partiellement, sur les blogs manitasdeplata.net et benzinemag.net