Pixies - Mercredi 23 Novembre 2016 - Zénith (Paris)
« Ce mercredi 23 novembre, nous avons assisté au Zénith à une sorte de renaissance : Pixies (ou les Pixies, comme on dit en France), ont napalmé la salle et son public extatique, (presque) comme ils l’avaient déjà fait en septembre 1990, lors d’une soirée qui avait traumatisé à l‘époque une partie des spectateurs présents… Et ça, vu que l’on parle DU groupe de Rock le plus important – et le plus brillant – du début de années 90, c’est quand même une excellente nouvelle, en cette époque où, entre le Brexit, Donald Trump et François Fillon, on a désespérément besoin de bonnes nouvelles.
Mais revenons un peu en arrière : il est 18 heures, j’arrive devant le Zénith alors qu’il y a moins de dix personnes dans la queue devant moi, les portes s’ouvrent immédiatement, et cinq minutes plus tard, je suis tranquillement installé à la barrière, entre les micros de Frank Black et de Joey Santiago, soit la place idéale pour profiter d’un concert des Pixies. Et c’est d’autant plus plaisant que je me trouve entre deux types passionnants, avec lesquels les conversations – sur The Cure, vu qu’ils en sont fans absolus –, ou sur Gorillaz, Ludwig von 88, les Ramoneurs de Menhirs, etc. égaieront l’heure et demi d’attente qui suivra. La salle se remplit très, très lentement, c’en est presque inquiétant (d’ailleurs il n’y aura pas encore grand monde à 19h30 pour la première partie !), et Mimie (Punk Chou de son nom de famille) nous rejoint devant sans difficulté. Bref, nous sommes de bonne humeur, et prêts à 100% !
19h30 : ils s’appellent FEWS (WTF ?), ils se décrivent sur Facebook comme jouant du ”post-post-punk” et du ”motorik noise-pop”, quoi que ce soit que ça signifie, ils sont a priori Suédois mais basés à Londres… et ils ont de drôles de tronches, bien allumées (je pense surtout au clownesque chanteur – guitariste avec sa langue en coin et sa tête qui n’arrête pas d’osciller… freaky !). Musicalement, même si on craint beaucoup au démarrage parce que les basses sont trop fortes et les guitares inaudibles, c’est en fait une sorte de noise façon My Bloody Valentine débité sur un rythme accéléré – ferroviaire, dirait-on ! – et quand même relativement uniforme. Une uniformité entre les morceaux qui joue rapidement en défaveur de FEWS, malgré quelques belles montées d’intensité. Bref, ce n’est pas encore un groupe vraiment mémorable, mais c’est quand même une première partie des plus acceptables. Ah ! Et eux aussi jouent à peu près dans l’obscurité : on sent que c’est une mode qui revient fort, et j’ai une pensée amicale pour l’ami Robert en train de s’escrimer dans la fosse des photographes pour essayer d’en tirer quelque chose.
Installation rapide du matériel des Pixies, et à 20h30 précise, Frank Black, Joey Santiago, David Lovering et… Paz Lenchantin (désormais remplaçante officielle et permanente de Kim Deal) déboulent avec… Where is My Mind?... soit quand même un début furieusement culoté, puisqu’il y a sans doute une partie raisonnable du Zénith – désormais comble – qui est venue avant tout pour entendre le seul tube (à mèche longue, le tube) des Pixies ! Frank semble avoir repris un peu de poids, même s’il est élégamment vêtu de noir, et il a des petites lunettes qui lui confèrent un air docte : pour le moment, son chant est… normal, dirons-nous, on va devoir attendre un peu pour entendre les fameux cris de goret égorgé, alternant avec les rugissements de fauve extra-terrestre.
Joey paraît parfaitement normal, presque classe, et il est assez difficile d’imaginer que notre ami sort juste d’une cure de désintoxication, dont l’annonce en septembre dernier avait – légitimement - inquiété les nombreux fans des Pixies. David est l’habituel ”pilier” derrière ses fûts, l’homme ordinaire qui ne sortira de sa réserve, comme d’habitude, que pour chanter le jovial La La Love You, principal (seul ?) moment de légèreté dans un set qui visera la majeure partie du temps à l’incandescence. Quant à la petite nouvelle, l’Argentine Paz, elle est clairement complètement à sa place dans le groupe, aussi bien musicalement – excellents vocaux décalés et un peu faux, comme on les attend – qu’humainement : il semble en effet régner sur scène une sorte d’harmonie entre les musiciens, voire une bonne humeur qu’on n’avait jamais constatée auparavant… Même s’il ne faut clairement toujours pas espérer beaucoup d’exubérance… ni même le moindre mot envers le public durant l’heure et quarante minutes du set !
Bon, alors, une fois Where Is My Mind?... derrière nous, on peut se consacrer aux choses sérieuses : Frank Black fait monter doucement la pression – voir la belle reprise ”classique” du Winterlong de Neil Young – mais on débouche quand même très vite l’enivrante fiole aux élixirs à fort degré d’alcool : « You are the son of a… MOTHER FUCKER ! », tout le monde se retrouve à hurler sur l’épique Nimrod’s Son, et c’est le signe que j’attendais, qu’on attendait depuis l’improbable reformation en 2004 : les Pixies sont de retour. La guitare de l’impeccable Joey Santiago nous cisaille les nerfs et nous taraude les tympans – oui, ce soir, le son était FORT quand on était au premier rang au Zénith -, et le gros Francis se remet à couiner au lieu de chanter. La pression dans mon dos augmente, là où quelques minutes plus tôt, on se plaignait presque d’être à un concert civilisé avec trop de vieux dans la salle. Car le fait d’être broyés contre la barrière par un public en furie, alors qu’on a la tête qui vibre et les oreilles qui vrombissent sous l’assaut sonique, c’est la vraie expérience Rock’n’Roll d’un set des Pixies, non ?
La setlist, forcément brillante, de près de quarante morceaux, enchaînés quasiment sans pause comme à la grande époque, jusqu’à l’épuisement sensoriel, est principalement centrée sur ”Doolittle” – joué en intégralité, me semble-t-il, y compris le merveilleux Tame avec cette hystérie qui fait basculer le morceau vers l’abandon total de toute raison -, et sur le dernier album, ”Head Carrier” fort honorable, avec de beaux moments pop (Oona, The Tenement Song) : il y a aussi, et heureusement, les inévitables brûlots des débuts, de ”Come On Pilgrim” et de ”Surfer Rosa”… Rien de ”Indie Cindy”, et peu de choses de ”Bossanova” et de ”Trompe le Monde”. Et pas de Planet of Sounds (pourquoi, mon dieu, pourquoi ? C’est mon morceau favori !), pas de Gigantic non plus, comme quoi la plaie Kim Deal n’est pas aussi refermée que Frank Black le prétend…
Le principe du set est un va et vient entre les pics furieux des morceaux les plus extrémistes (l’enchaînement de Crackity Jones, Baal’s Back, Tame et Hey par exemple ne laissera personne indemne…) et les vallées plus accueillantes des chansons mélodiques. Evidemment, pendant les moments d’intensité incontrôlable, la situation s’avère physiquement difficile : à un moment, j’ai cru voir Mimie verser une larme à ma droite, mais je me suis rendu compte que c’était de pure joie ! A ma gauche, mon voisin – armoire à glace - dégageait les envahisseurs, qui manifestaient des velléités de nous déloger de notre place privilégiée, en entamant un pogo brutal. Quant à moi, arrimé à la barrière, je me laissais complètement aller à savourer cette incroyable madeleine de Proust au piment rouge et à la tequila : les Pixies étaient à nouveau là… certes moins absurdement méchants, moins radicaux, mais quand même toujours à l’avant-garde de l’extrémisme alternatif. (Bon comme les Pixies sont toujours les Pixies, ils arrivent toujours à faire des fausses notes, à jouer et à chanter approximativement, voire même à foirer complètement le début d’une chanson, comme lorsqu’ils abandonneront l’intro de Um Chaga Lagga… mais honnêtement, ça fait partie du deal, et je ne pense pas que ça pose un problème à qui que ce soit !).
Le set se clôt à 22h00 pile, par le doublé parfait de Debaser (« I am un chien andalou-cia… ») et U-Mass (« It’s educational », adlib…). Les oreilles sifflent, le bonheur brille dans les regards épuisés : Pixies !
Puis ils reviennent, très vite, pour Vamos et l’habituelle démonstration à la guitare de Joey Santiago (bon, il ne se roulera plus par terre…) : « Estaba pensando sobre viviendo con mi sister en New Jersey, Ella me dijo que es una vida buena alla, Bien rica, bien chevere, Y voy! Puñeta! ». Et comme c’est une manière trop festive de nous dire au revoir, ils préfèrent nous noyer dans la fumée et dans les lumières blanches pour une excellente version de grand, du très grand morceau abstrait qu’est Into the White, sur lequel Paz Lenchantin fait mieux qu’évoquer le spectre bizarre de Kim Deal : « Deeper than your sleepy head, ain’t nothing to see, ain’t nothing in sight, into the white! ».
Ça devrait être mon dernier concert de l’année 2016, et honnêtement, après la révolution Girl Band il y a seulement quelques jours, comment mieux finir une année aussi déprimante qu’en célébrant à nouveau l’extrémisme sonique des Pixies ?
”There was a guy,
An under water guy who controlled the sea,
Got killed by ten million pounds of sludge,
From New York and New Jersey (…)
The creature in the sky
Got sucked in a hole,
Now there's a hole in the sky (…)
If man is five, if man is five, if man is five,
Then the devil is six, then the devil is six,
The devil is six, the devil is six and if the devil is six,
Then God is seven, then God is seven, the God is seven:
This monkey's gone to Heaven”
Et je dédie cette soirée aux climato-sceptiques, aux ultra-libéraux et aux curaillons de tous bords. Fuck Trump and fuck Fillon ! »
Les musiciens de Pixies sur scène :
Black Francis – vocals, rhythm guitar
David Lovering – drums
Joey Santiago – lead guitar
Paz Lenchantin – bass guitar, vocals
La setlist du concert de Pixies :
Where Is My Mind? (Surfer Rosa - 1988)
Brick Is Red (Surfer Rosa - 1988)
Break My Body (Surfer Rosa - 1988)
Nimrod's Son (Come On Pilgrim – 1987)
Mr. Grieves (Doolittle - 1989)
Blown Away (Bossanova – 1990)
Winterlong (Neil Young cover)
La La Love You (Doolittle - 1989)
Ana (Bossanova – 1990)
All the Saints (Head Carrier - 2016)
Here Comes Your Man (Doolittle - 1989)
Gouge Away (Doolittle - 1989)
Bel Esprit (Head Carrier - 2016)
Tenement Song (Head Carrier - 2016)
Isla de Encanta (Come On Pilgrim – 1987)
I've Been Tired (Come On Pilgrim – 1987)
Oona (Head Carrier - 2016)
Monkey Gone to Heaven (Doolittle - 1989)
All I Think About Now (Head Carrier - 2016)
Caribou (Come On Pilgrim – 1987)
Subbacultcha (Trompe le Monde – 1991)
Wave of Mutilation (Doolittle - 1989)
Rock Music (Bossanova – 1990)
Crackity Jones (Doolittle - 1989)
Baal's Back (Head Carrier - 2016)
Tame (Doolittle - 1989)
Hey (Doolittle - 1989)
Classic Masher (Head Carrier - 2016)
Cactus (Surfer Rosa - 1988)
No. 13 Baby (Doolittle - 1989)
Um Chagga Lagga (Head Carrier - 2016) (Intro only; aborted)
Something Against You (Surfer Rosa - 1988)
Broken Face (Surfer Rosa - 1988)
Debaser (Doolittle - 1989)
U-Mass (Trompe le Monde – 1991)
Encore:
Vamos (Surfer Rosa - 1988)
Into the White (Complete ‘B’ sides – 2001)