The Gun Club - Jeudi 10 Mars 1983 - Bataclan (Paris)
« Ce qui, dans le rock, est merveilleux, c’est que, une fois sur 100, sur 1000, il se passe quelque chose (d’inouï…) qui vient d’un coup justifier des années de galères, d’insatisfactions, ou simplement de banalités… Cette soirée au Bataclan a balayé toute médiocrité, et même tout souvenir de médiocrité, de la tête des quelques dizaines de spectateurs, hallucinés, incrédules, qui ont assisté à ÇA… Le Gun Club, ou le groupe qui rachète l’ordinaire du rock des années 80. Même si tout cela restera gravé dans les mémoires, et sera rapidement transformé en légende (il y aura ceux qui Y étaient, et les autres…), avec le recul, ce miracle paraît bien inexplicable, improbable, ténu…
Imaginez, imaginez seulement un déluge d’électricité, un vrillement des sens, vomi par un guitariste tout crispé de haine (le rictus de celui qui vient pour tuer)… une rythmique lente et lourde comme un cœur qui va bientôt s’arrêter, la belle Patricia immobile, indifférente aux crachats qui s’accrochent dans sa longue chevelure… Et devant, surtout, LUI, le Pierce qui se prend tour à tour pour une Deborah Harry sous barbituriques et pour un Jim Morrison sous amphétamines, buvant de l’alcool accroché à son pied de micro, et éructant inlassablement des insultes, d’une voix lasse et froide… Dans la salle, autour de moi, un public tétanisé par le flot destructeur qui s’écoule des amplis : personne ne bouge, chacun reste à distance de son voisin, de peur sans doute que cette haine absolue qui envahit les oreilles, les yeux, les narines, ne se matérialise. Jamais encore la violence sourde, intérieure, qui minait la musique des Doors, des Stooges ou du Velvet n’avait été aussi tangiblement, physiquement exposée, rendant d’un coup ridicules les mots, les gestes. Le Gun Club nous a offert le plus beau des cadeaux ce soir : l’absolu, sous forme de haine, à manière d’un Lautréamont.
Nous sommes sortis du Bataclan comme des zombies dans la nuit, dévorés par le feu, déjà en enfer. Et le lendemain encore, au réveil, je brûlais comme d’avoir approché de trop près cette lumière inimaginable qui ne peut briller qu’au cœur des ténèbres les plus profondes.
PS : Bien sûr, vous voulez aussi des faits à propos de cette soirée qui restera au panthéon de ma « rock’n’roll life »…
Eh bien, nous avons eu droit en première partie à un groupe rennais, les Nus, un quatuor peu inspiré qui n’a pas fait honneur à l’excellente réputation de la cité bretonne, et qui me semble destiné à disparaître bien vite.
Ensuite, Jeffrey Lee Pierce et son trio de tueurs ont enchaîné en un set court des extraits des deux albums du Gun Club, en particulier du sublime « Miami », entrecoupés de nouveaux morceaux qui paraissent encore plus basiques et furieux. De toute manière, les chansons sont quasi méconnaissables, toutes noyées dans une électricité mauvaise, toutes jouées avec la même intensité hallucinée. On savait déjà que cette « nouvelle formation » du Gun Club était très récente, que les musiciens n’avaient que très peu répété ensemble – d’où le côté très primitif de la musique -, que le groupe, par manque de moyens, jouait sur du matériel de location – d’où sans doute le principe de jouer absurdement fort pour dissimuler les faiblesses techniques. On a appris plus tard que ce soir-là, les musiciens – hormis Patricia – avaient absorbé sans le savoir de l’héroïne à la place de leur cocaïne habituelle, d’où ce sentiment presque insoutenable de trip hébété. Voilà, ce sont les faits, et ceci explique sans doute cela. Sauf que la magie – le vaudou – ça ne s’explique pas. »
Les photos sont de Jean-Pierre V.
Les musiciens de The Gun Club sur scène :
Jeffrey Lee Pierce (vocals)
Jim Duckworth (guitar)
Patricia Morrison (bass)
Dee Pop (drums)
La set list du concert de The Gun Club :
Strange Fruit
Fire Of Love
Run Through The Jungle
John Hardy
The Lie
The House On Highland Ave
Cool Drink Of Water
Fire Spirit
Death Party
Goodbye Johnny
Sex Beat
Heebies Jeebies