girl in red - Lundi 6 Mai 2019 - Boule Noire (Paris)
« Quel plaisir de voir cette foule de très jeunes femmes qui se pressent devant la Boule Noire pour applaudir Marie Ulven, la fameuse girl In red, dont les formidables chansons 'indie" dépeignent et célèbrent la difficulté et la fierté d'affirmer sa sexualité à un si jeune âge ! Quelques drapeaux arc-en-ciel dans la foule, et très peu de garçons dans la salle : le contexte est clair, et fait chaud au cœur à notre époque de résurgence hideuse de réflexes homophobes rétrogrades. Et puis, aussi, quelle joie de voir que le Rock peut encore porter les couleurs de l'affirmation de soi, d'une forme, fut-elle pacifique et civilisée, de rébellion contre une société qui hésite bien trop à évoluer ! Oui, dans la salle de la Boule Noire, il y a ce soir une belle ambiance joyeuse, qui nous rappelle, à nous, vieux combattants éreintés, combien il est bon d'être ensemble pour lutter pour un futur meilleur. Mais assez déliré, place à la musique !
20h30 : Claud, c'est le nom de scène de ce bout de fille charmante, a priori basée à Brooklyn, et qui, seule avec sa guitare, amorce son set de 25 minutes par un bravache : "Welcome to Coachella!". Avec l'aide de pas mal de musique préenregistrée et d'une voix intéressante, dans le registre un peu classique de l'innocence juvénile, Claud Mintz va nous tenir en haleine sur une suite de chansons certes un peu banales, parfois inutilement lisses, grâce à une discrète mais jolie présence scénique. Elle a une belle bande de fans déjà dans la salle qui mettent l'ambiance, chantent avec elle sur son nouveau titre (If I Were You, je pense…). Sur une chanson romantique, on allume même quelques briquets qui nous ramènent à la belle époque d'avant les téléphones portables. Claud a été forcément acclamée quand elle a demandé comment on dit en français : « I am gay ». Mais le plus chou, c'est quand elle nous a avoué que c'était son premier séjour à Paris, qu'elle était donc allée voir la Tour Eiffel et avait acheté un porte-clé. Je ne sais pas si Claud décollera un jour, mais au moins elle est là, à Paris, devant un public qui l'adore et l'acclame. Combien de gens peuvent-ils en dire autant à son âge ?
Girl in red, c'est quelque chose de hors du commun : ce soir, à la Boule Noire, c'est une évidence qui nous saute aux yeux. Marie, jeune norvégienne de guère plus de 20 ans, a écrit des chansons seule dans sa chambre sur son amour des femmes et, par la grâce des réseaux sociaux, a fédéré des milliers de jeunes filles et de jeunes femmes en Europe, avant même d'avoir publié son premier album. Les salles où elle se produit sont sold out, le public fait la queue plusieurs heures avant pour être au premier rang, tout le monde connaît par cœur les paroles - remarquables d’honnêteté - de ses chansons, alors qu'elles viennent juste de sortir sur Internet : on a fait le test à la Boule Noire ce soir, Marie a diffusé sur la sono la musique de sa dernière chanson, Dead Girl in the Pool, pendant qu'on préparait le matériel sur scène, et les fans ont chanté la chanson tous seuls !
21h25 : quatre (très) jeunes Norvégiens vêtus de blanc entrent en scène, précédant Marie, et attaquent 4am. Le public s’embrase instantanément, comme les jeunes filles seules savent le faire. Un long hurlement strident général, puis TOUT LE MONDE CHANTE : « Fuck my thoughts ! I Think too Much ! »… Impossible d'entendre, même devant, la voix de Marie, c'est à peine si on entend le groupe jouer ! Et ça va être comme ça durant les 55 minutes du set ! J'ai l'impression d'être revenu en pleine Beatlemania. ou au moins aux débuts des Smiths… sauf que ce mélange d'admiration quasi aveugle et de familiarité amicale est tout à fait inédit, et bien de notre époque où nos stars ne sont plus des dieux et des déesses inaccessibles, mais des versions plus populaires de nous-mêmes…
Sur scène, le groupe pogote franchement, et on sent une énergie juvénile se déverser sur nous, et être renvoyée immédiatement par le public vers la scène : c’est incroyable ! J’ai le sentiment de revenir aux fondamentaux de notre musique. Marie, elle, saute dans tous les sens avec ses musiciens, elle est hilare, elle est rayonnante : sa musique a des allures de "bedsitting music" - encore un point commun avec Morrissey, même si les textes sont bien plus simples et directs -, introspection existentielle amoureuse, un tantinet dépressive, comprise, mais sur scène c'est une véritable explosion !
Les morceaux ne font guère plus des 2 minutes de rigueur depuis que le Punk a redéfini les règles d’une musique vraiment essentielle. Les guitares carillonnent comme chez les Smiths (again !). Les mélodies, immédiatement accrocheuses, font danser comme le premier album de... disons Two Door Cinema Club (je pense à eux pour cette gaîté communicative, ce sens de la danse…). On touche à nouveau avec girl in red à l'essence profonde du rock'n'roll : une toute jeune personne - avec un foutu talent ! - compose dans sa chambre des chansons apparemment très simples qui ne parlent que d'elle, et d’un seul coup, le monde entier, en dehors de sa chambre, devient une caisse de résonance assourdissante. Summer depression illustre parfaitement cette remarquable ambigüité entre la genèse tourmentée des chansons (« My worst habit / Is my own sadness / So I stay up all night / Wondering why I'm so tired all the time ») et l’allégresse que tout le monde ressent de pouvoir chanter, non hurler ce genre de souffrance – tellement ordinaire, mais aussi tellement importante - tous ensemble dans un concert de Rock.
Le problème, c’est que Marie et ses garçons ne sont pas encore tout-à-fait prêts pour la conquête du monde : outre un niveau sonore insuffisant pour couvrir le public, de nombreux problèmes techniques émailleront la soirée, sans parler du fait que Marie semble avoir besoin d’accorder sa guitare à CHAQUE chanson. Et puis, Marie est tellement éberluée par ce qui lui arrive qu’elle ne peut pas s’empêcher de partager sa joie avec nous de longues minutes entre deux morceaux (« Quand je pense qu’il y a si peu de temps, j’étais toute seule dans ma chambre à écrire ces chansons, et que ce soir, je suis ICI… je n’arrive pas à y croire ! »). Au final, je crois bien qu’on n’aura pas eu droit à de la musique plus de la moitié de la soirée, le reste du temps a été consacré à la communication et au réglage des instruments et du son ! Et ça, évidemment, ça coupe l’enthousiasme que l’on ressent lorsque, enfin, le groupe joue : à fond la caisse, avec un enthousiasme communicatif… Bref, tout cela était sympathique, souvent touchant, mais mériterait d’être un peu plus resserré.
Malgré ce bémol, le concert finit magnifiquement, avec I Wanna Be Your Girfriend (« I don't wanna be your friend I wanna kiss your lips / I wanna kiss you until I lose my breath / I don't wanna be your friend I wanna be your bitch / I wanna touch you but not like this / The look in your eyes / My hand between your thighs »), puis avec l’irrésistible Girls (« They're so pretty, it hurts / I'm not talking about boys, I'm talking about girls / They're so pretty with their button-up shirts »).
Les spectatrices auront brandi des feuilles de papier portant l’arc-en-ciel symbolique sur le mot LOVE, auront chanté encore et encore en chœur des mots de tendresse, de désir et de frustration… Elles seront reparties – j’espère – avec la conviction que le monde, cette saloperie de monde que nous leur léguons, sera un peu plus accueillant pour elles. La fête aura été belle, ce soir à la Boule Noire.
Maintenant, on attend de pied ferme le prochain retour de girl in red, avec un album complet et de nouveaux concerts. »
Les musiciens de girl in red sur scène :
Marie Ulven – guitare, vocaux
Martin Andersen Dybdal – guitare
Bror Henrik Smith Brorson – guitare
Sigur Berg Svela – basse
Erlend Hisdal - batterie
La setlist du concert de girl in red :
4am (chapter 1 – 2019)
summer depression (chapter 1 – 2019)
dead girl in the pool
say anything (chapter 1 – 2019)
dramatic
forget her
watch you sleep
we fell in love in october
rushed lovers
talia (King Princess cover)
i wanna be your girlfriend (chapter 1 – 2019)
girls (chapter 1 – 2019)
Cette chronique a été publiée partiellement à l'époque du concert sur les blogs benzinemag.net et manitasdeplata.net