The Jesus and Mary Chain - Mercredi 27 Juin 2018 - Le Trianon (Paris)
« Plus de 30 ans se sont écoulés depuis la déflagration provoquée dans le petit monde du rock par "Psychocandy", le premier album des sales teignes de The Jesus and Mary Chain. On se souvient - sans affection particulière - de leurs premiers sets parisiens au milieu des années 80 : sans lumière, trop courts, délivrés avec une morgue assez détestable - quand le groupe ne prônait pas même une violence puante contre le public ou le service d'ordre -, les concerts de The Jesus and Mary Chain ne nous ont jamais attachés au groupe, que sa débâcle artistique au début des 90's a relégué dans l'Histoire au rang des pionniers méritants mais pas très sympathiques. Néanmoins, impossible à tout amateur de chaos électrique de ne pas régulièrement payer sa dette aux Frères Reid, inventeur de la mélodie pop "classique" trempée dans l'huile bouillante de la déflagration sonique... et assortie d'une pincée de provocation so british. Me voilà donc ce soir au premier rang d'un Trianon rempli d'un public de tous les âges, qui attend avec patience sa dose d’électricité, comme mes voisins, un jeune couple de St Etienne venu fêter ici un anniversaire : en 2018, les Frères Reid sont même devenus… un cadeau !
« Ils portent des lunettes noires alors que nous sommes dans l’obscurité, ils doivent être parisiens ! » Voilà ce que je me dis bêtement quand le duo Dawnie et Lucas de It’s Sunday apparaît à 19h30 sur la scène du Trianon… et je me trompe à moitié puisque Dawnie vient paraît-il de Californie. Lucas est à la guitare et Dawnie derrière un mini-kit de batterie, nous sommes dans la nouvelle tradition des duos minimalistes, et pourquoi pas ? Quand Lucas commence à chanter, sa voix trafiquée par un écho irritant, on grince des dents : la France a vraiment du mal à produire des jeunes gens qui ait une voix ! L’écho s’en va, mais le chant demeure la grande faiblesse de It’s Sunday. Et les paroles aussi : quand ils chantent en français, difficile de ne pas sourire : « Viens avec moi sous la couette / Viens me rejoindre pour faire la fête » (cité de mémoire)… Non, ce n’est pas du Bob Dylan ou du Leonard Cohen, avouons-le. « Mais la musique ? » me demanderez-vous… Eh bien, cela évoque mille choses que nous aimons ou surtout avons aimé, entre Galaxie 500, les Cocteau Twins, et tant d’autres musiques brumeuses et élégantes, c’est dépouillé, entre le beau son classique de la Telecaster et le martellement patient des fûts mais cela reste toujours trop sage. Malgré la bienveillance du public, il ne passe pas grand-chose sur scène, et on s’ennuie un peu. Ma voisine de St Etienne est optimiste : « Ils sont jeunes, ça viendra ! ». Pour me prouver qu’elle a raison, le dernier est plus fort, plus audible, plus intéressant. Accordons-leur le bénéfice du doute, ils sont bien sympathiques.
Intéressante distribution du matériel de The Jesus and Mary Chain sur scène, avec le micro de Jim Reid solitaire tout devant, et les quatre musiciens bien alignés loin dans le fond, avec brother William sur la droite. 20h30 et quelques, ils sont là et attaquent Amputation, l’ouverture du dernier album, "Damage and Joy", avec son texte tellement typique : « Fucked-up girls like drugged-up guys / That won't keep him warm at night / It's just like a grape in a bottle / It's wine today but piss tomorrow / I don't know, I guess that we're all through / I'm a rock and roll amputation… ». Si toutes les relations humaines sont condamnées à se transformer en pisse avec le temps, et en particulier celles entre frères, qu’en sera-t-il de notre admiration d’hier pour la musique des ex-mauvais garçons provocateurs, devenus désormais des adultes grisonnants ?
Sans surprise, The Jesus and Mary Chain jouent soit dans une semi-obscurité, soit sous un rideau de lumière braqué directement sur les spectateurs, transformant le groupe en de vagues silhouettes sombres : même en l’absence – bénie – de fumigènes ce soir, inutile d’espérer faire des photos décentes ! Les photographes officiels sont d’ailleurs punis d’une interdiction systématiquement appliquée de s »approcher du centre de la scène, et donc de faire des photos un tant soit peu rapprochées de Jim… Un Jim qui a relativement peu changé avec toutes ses années, hormis les cheveux grisonnants et plus dégarnis, un Jim qui conserve ses poses scéniques "fermées" au public : les yeux tournés vers le sol, les poings dissimulant le visage, voire même le dos complètement tourné. Il est édifiant de comparer ses attitudes à celle des débuts du groupe : absolument rien n’a changé, si ce n’est l’abandon du perfecto de cuir noir, sans doute parce qu’on le sait bien désormais, Jim « hate(s) rock’n’roll »… William, quant à lui, dissimulé dans l’obscurité, sous son abondante touffe frisée toute blanche, a semble-t-il reperdu un peu de poids, ce qui nous évite la comparaison qui s’imposait il y a 10 ans, lors de la reformation, avec Pedro Almodovar.
Rien à dire des musiciens qui les accompagnent, forcément anonymes dans le noir, forcément compétents, forcément interchangeables : ils ne sont que les nécessaires comparses de l’éternel petit théâtre de l’ennui et de l’exaspération que nous jouent encore et toujours les Glaswégiens terribles. Un dernier mot sur le son, assez excellent mais totalement insuffisant pour nous permettre d’entrer dans la transe tétanisée qu’appelle cette musique ; quelques pics sonores apparaîtront occasionnellement quand William retrouvera un peu de son extrémisme juvénile, mais on restera bien en dessous de ce qu’elle requiert pour devenir aussi essentielle qu’elle le fut à son époque.
Voilà donc 30 minutes que j’hésite : plaisir ou pas ? fake drug ou pas ? Arrive Snakedriver et quelque chose décolle enfin : un mosh pit, timide, certes mais quand même…, se forme derrière moi, ça commence un peu à remuer, je me prends quelques coups dans le dos, quelques spectateurs s’empoignent, et le niveau sonore devient un peu plus acceptable. William s’anime dans le fond de sa caverne obscure : on est loin, très loin encore, du danger, de la peur même qui faisaient des sets de The Jesus and Mary Chain des moments de pur rock’n’roll en 1987. Teenage Lust en remet une couche. A ma droite, au premier rang, je repère une jeune anglaise solitaire qui chante toutes les paroles, qui vibre de toute son âme. Et l’ami Xavier qui s’agite. Eh oui, c’est un putain de concert de Rock ! On est là pour ça, pour s’agiter, pour vibrer, pour tenter de retrouver au fond de nous ces graines de folie qui nous font tant de bien quand elles poussent dans notre estomac, dans nos poumons. Qu’importe finalement si, en face de nous, ce sont des quinquagénaires fatigués qui rejouent encore une fois la symphonie saturée de nos rébellions inutiles, de nos espoirs piétinés…
Some Candy Talking : « I'm going down to the place tonight / To see if I can get a taste tonight / A taste of something warm and sweet / That shivers your bones and rises to your heat… ». Nous sommes tous là pour ça, pour essayer de retrouver ça, même pour quelques fragiles secondes, cette sensation exquise de s’engloutir à nouveau dans un océan de bruit assourdissant, aveuglés par les lumières blanches et la chaleur blanche.
C’est la fin du set, déjà : Reverence illumine la nuit. Quelques frissons de bonheur dans la foule. Nous sommes évidemment déçus, mais il nous faut nous souvenir, en toute honnêteté, que The Jesus and mary Chain décevait déjà en 1987. La tâche à laquelle ils s’étaient attelés étaient juste prométhéenne, et ils n’étaient pas de taille, tout simplement.
Mais au moins, ils essaient : Jim dit même quelques mots au public, inintelligibles bien sûr. Et ils reviennent pour un rappel de cinq morceaux, avec le sublime In a Hole au milieu, histoire que nous n’oubliions jamais le choc que fut "Psychocandy". Et voilà, rideau : échec, inévitable, mais échec respectable. A l’impossible, nul n’est tenu. L’honneur est sauf.
A la sortie, éberlué, j’entends un pauvre jeune Parisien se plaindre que le concert était trop fort pour ses tendres oreilles. Je n’en crois pas les miennes, d’oreilles : sommes-nous devenus si fragiles, si prudents, si raisonnables, que nous ne comprenons plus de quoi il s’agissait ce soir ? Du coup, mon éternel ressentiment envers les frères Reid - et leur nihilisme sans queue ni tête - se change en une sorte d’affection, un peu contrite certes : que nous reste-t-il donc, à part une pantomime gracieuse, pour exprimer tout ce que le bruit de nos guitares n’arrive plus à transmettre à une génération qui n’aspire plus qu’au confort, et à l’entertainment à bon marché ?
« I hate rock 'n' roll / And all these people with nothing to show / I hate rock 'n' roll / I hate it 'cause it fucks with my soul / Rock 'n' roll hates me… »
Je hais le rock’n’roll.
Mais je ne peux pas vivre sans. »
Les musiciens de The Jesus and Mary Chain sur scène :
Jim Reid – chant, guitare
William Reid – guitare
The Black Ryder – guitare
Brian Young – batterie
Mark Crozer – basse
La setlist du concert de The Jesus and Mary Chain :
Amputation (Damage and Joy – 2017)
April Skies (Darklands – 1987)
Head On (Automatic – 1989)
Blues From a Gun (Automatic – 1989)
Black and Blues (Damage and Joy – 2017)
Mood Rider (Damage and Joy – 2017)
Far Gone and Out (Honey’s Dead – 1992)
Between Planets (Automatic – 1989)
Snakedriver (Hate Rock’n’Roll – 1995)
Teenage Lust (Honey’s Dead – 1992)
Cherry Came Too (Darklands – 1987)
All Things Pass (Damage and Joy – 2017)
Some Candy Talking (Some Candy Talking EP – 1986)
Halfway To Crazy (Automatic – 1989)
Darklands ( Darklands – 1987)
Reverence (Honey’s Dead – 1992)
Encore:
Just Like Honey (Psychocandy – 1985)
Cracking Up (Munki – 1998)
In a Hole (Psychocandy – 1985)
War on Peace (Damage and Joy – 2017)
I Hate Rock 'n' Roll (Munki – 1998)
Cette chronique a été publiée à l'époque du concert sur les blogs BenzineMag et manitasdeplata.net