Okkervil River - Lundi 7 Novembre 2016 - Petit Bain (Paris)
« Ah, Okkervil River ! Un groupe très peu connu en France, inhabituel, voire hors du commun, que j’ai découvert voici quelques années déjà grâce aux copains, et que je suis fidèlement depuis. Je me souviens en particulier d’un concert incandescent à Madrid, qui avait jeté une lumière différente sur les chansons, très littéraires, de Will Sheff, l’âme du groupe. C’est d’ailleurs ce que j’attends ce soir, le dernier album, “Away”, enregistré par Will avec un groupe entièrement renouvelé, étant un peu moins convaincant que les précédents. On verra bien si la vieille magie peut renaître…
Bien qu'arrivé un peu tard au Petit Bain du fait d'un retour tardif d'Avignon (ah, le boulot !), j'arrive sans problème à me placer au premier rang, le public se tenant curieusement à une certaine distance de la scène pendant le set de la première partie. Jamais vu ça, d'autant que les Parisiens de Old Mountain Station ne paraissent quand même pas bien méchants, et ne jouent pas particulièrement fort. J'ai loupé à peu près la moitié de leur set, mais ils me semblent faire justement un rock américain lyrique, bien dans le style Okkervil River dont ils se déclarent très fans. C'est plutôt pas mal, sauf au niveau du chant, assez approximatif. Du coup, difficile de percevoir un réel potentiel malgré deux dernières chansons emportées et accrocheuses...
L’inquiétude me gagne quand je ne vois personne s’affairer autour du matériel d’Okkervil River, installé mais recouvert de bâches en plastique : aurons-nous droit à une « seconde première partie » ? Eh oui, et en plus c’est un set acoustique en solo qu’on nous inflige, soit quelque chose assez proche du cauchemar pour moi. L’auteur compositeur est anglais, se nomme L.A. Salami (hein ? En fait, il semble s’appeler vraiment Lookman Adekunle Salami !), est assez sympathique et
drôle (humour anglais oblige…), et a une voix superbe. Malheureusement, les compositions, monocordes et peu inspirées, ne suivent pas ! Nous aurons droit à quatre looooongs morceaux (sept à huit minutes chacun) traitant systématiquement des misères de l’existence. D’ailleurs il nous avait prévenu : « Cette chanson était déprimante, la prochaine aussi, bref vous aurez compris l’ambiance du set… ». Il y a certes quelque chose de très beau dans ce folk très low key, très posé, équidistant entre Nick Drake et Cohen, avec de temps à autre, des tonalités bluesy… mais vraiment, l’inspiration fait défaut ! Ce qui fait que les 30 minutes qui lui sont allouées paraissent assez interminables. Une déception…
La scène est maintenant étonnamment décorée en paysage d’automne : la toile de fond reprend la pochette de l’album, avec sa myriade d’oiseaux tourbillonnants au milieu de forêts automnales, et autour de chaque pied de micro est enroulée une guirlande feuilles orangées. Ça pourrait être kitsch, mais curieusement, ça ne l’est pas… Il est déjà 21h55 quand Will Sheff et son nouvel Okkervil River pénètrent sur scène, et je suis un peu inquiet : le couvre-feu à Paris étant généralement fixé à 23 h, j’ai bien peur que nous n’ayons droit qu’à un concert réduit. Will, les cheveux et la barbe plus longues, mais toujours vêtu assez classiquement d’une chemise blanche et d’un pantalon de ville, attaque avec le fameux titre d’ouverture de son dernier album, audacieusement intitulé Okkervil River R.I.P., et qui ressemble en effet plus à un titre solo acoustique qu’à un vrai morceau du groupe. Sauf que, sur scène, le morceau décolle avec les interventions subtiles mais décisives de la contrebasse, de la guitare et de la batterie…
Il va quand même nous falloir attendre la reprise de Unless It’s Kicks – grand titre du génial album “The Stage Names” - pour que le nouvel Okkervil River déploie toute sa puissance. Les premiers cris de joie s’élèvent de la petite foule massée sur le pont du Petit Bain, un pont qui tanguera ce soir assez fortement d’ailleurs, en parfaite adéquation avec la musique de funambule extatique de Will Sheff. Je commence à pressentir qu’après un démarrage un peu en demi-teinte, quelque chose de grand va advenir ce soir.
Et c’est avec A Girl in Port, l’un des morceaux préférés de tous les fans d’Okkervil River, que le concert passe à la vitesse supérieure. La guitare est sublime, la section rythmique impressionnante de souplesse et de puissance : j’adore le petit bassiste qui n’arrête pas de tressauter, voire de pogoter même sur les morceaux calmes. Mais là, c’est un ouragan qui souffle, et tout le monde doit bien admettre que Will a eu raison de changer de groupe : alors que jadis, on trouvait souvent à redire à des orchestrations bancales et des musiciens un peu amateurs, on a maintenant un groupe de haut niveau sur scène, qui combine virtuosité impressionnante (de nombreuses interventions du guitariste provoqueront des cris d’enthousiasme parmi les fans massés derrière moi…) et fraîcheur décapante.
A partir de là, on va partir dans une succession de morceaux d’une intensité croissante, avec un plaisir de plus en plus fort pour nous : je regarde autour de moi, et parmi les gens qui ondulent ou sautent sur place, je vois beaucoup de visages rayonnants, les yeux fermés pour mieux absorber cette musique radieuse. Et les mimiques extatiques de Will Sheff, qu’il m’arrive parfois de juger épuisantes, trouvent désormais leur pleine justification. Je suis quant à moi juste en face de l’ampli de la guitare, et j’ai en plus la joie de profiter d’un son désormais très fort, qui contribue à l’extase générale. Down Down the Deep River, le grand titre jouissif de “Silver Gymnasium” voit Okkervil River accéder au podium convoité des grandes performances live, et For Real conclut le show dans une apothéose sonique et émotionnelle…
Vite, vite… Pas le temps de souffler, s’ils veulent jouer encore malgré les 23 h passées, Will et ses acolytes ne peuvent pas faire de break. The War Criminal Rises and Speaks commence par un Will perdu avec sa guitare acoustique dans la fosse au milieu du public ravi, et tandis que nous tournons le dos à la scène, les musiciens réapparaissent pour envoyer à nouveau du plomb. Will doit alors s’excuser de ne pas pouvoir jouer tous les morceaux prévus, vu l’heure, et il nous quittera dans un dernier déluge de musique.
A ce stade, alors qu’il est 23h20 et qu’il vaut mieux se dépêcher pour attraper les derniers bus et RERs, je dois dire que je suis soufflé par ce à quoi je viens d’assister. Musicalement au pinacle (tant techniquement qu’émotionnellement), Okkervil River a offert ce soir à tous ceux qui avaient encore foi en Will Sheff l’un de ces grands concerts mythiques dont on parlera longtemps. Oui, Okkervil River est immense, et même si je décide de faire l’impasse sur le stand de merchandising où Will lui-même vend ses t-shirts en devisant avec ses fans enamourés, j’ai le sentiment d’avoir le cœur plus grand ce soir. Rempli de musiques et de mots.
Ladies and Gentlemen, Okkervil River !! »
Les musiciens de Okkervil River sur scène :
Will Sheff: vocals, guitar
Will Graefe : guitar
Cully Symington : drums
Benjamin Lazar Davis : bass
Sarah Pedinotti : keyboards
La setlist du concert de Okkervil River :
Okkervil River R.I.P. (Away – 2016)
Call Yourself Renee (Away – 2016)
Plus Ones (The Stage Names – 2007)
The Industry (Away – 2016)
Unless it’s Kicks (The Stage Names – 2007)
Mary on a Wave (Away – 2016)
A Girl in Port (The Stage Names – 2007)
Judey on a Street (Away – 2016)
Our Life Is Not a Movie or Maybe (The Stage Names – 2007)
Down Down the Deep River (The Silver Gymnasium – 2013)
For Real (Black Sheep Boy – 2005)
Encore:
The War Criminal Rises and Speaks (Don't Fall in Love with Everyone You See – 2002)
So Come Back, I am Waiting (Black Sheep Boy – 2005)