Of Montreal - Lundi 30 Avril 2012 - Joy Eslava (Madrid)
« Il y a pas mal de raisons qui me font encore aller galérer dans des salles de concerts alors que j’ai officiellement dépassé l’âge limite pour ce genre de plaisanteries, et l’une d’elle est l’émerveillement toujours possible devant une découverte inattendue, ce sentiment que la Musique peut encore vous surprendre, vous saisir au cœur ou à la tête au moment où vous vous y attendiez le mois… par exemple lors d’une première partie, c’est-à-dire le moment de la soirée duquel vous espérez au mieux trente minutes d’ennui poli… et puis paf ! Vous vous retrouvez « sur le cul », parce que quelqu’un dont vous ne soupçonniez même pas l’existence vous redonne foi en la musique…
Ce lundi 30 avril, l’OVNI s’appelle Kishi Bashi, il officie aussi comme violoniste et guitariste au sein de Of Montreal, et il se pointe à 20h15 quasi seul devant une salle à moitié remplie (les Madrilènes planifient en général leur soirée pour arriver deux minutes avant le début du concert du groupe à l’affiche, et encore…). Quand il repart à 20h45, Luis se rue au stand de merchandising acheter deux copies du premier album de K Ishibashi, ce jeune américain d’origine japonaise, qui vient de nous électriser avec son violon… électrique, avec ses boucles qui lui permettent de superposer en live des couches et des couches de sons, et surtout avec sa voix stupéfiante – qui passe de ténor à contre-alto, me souffle Inés… Il est soutenu sur quelques chansons par un batteur qui ajoute de la puissance à sa musique hyper complexe (« C’est seulement la deuxième fois que je joue avec un batteur, ça me force à crier plus fort, c’est fun ! », nous confiera K !). Difficile de qualifier sa musique, à la fois expérimentale (sonorités orientales, asiatiques, celtes, etc.) et parfois très pop anglaise (je pense en particulier à l’impressionnante chanson intitulée Manchester qui va clore le set), mais c’est en tout cas, malgré un amateurisme plaisant dans la construction des boucles et le passage du violon au micro par exemple, impressionnant de force, de plaisir et aussi de maîtrise technique. Un vrai choc, artistique, esthétique et émotionnel, qui m’a paru partagé par l’ensemble du public de la Joy Eslava.
Il y aussi pas mal de raisons qui me font avoir envie d’arrêter d’aller galérer dans des salles de concerts, et l’une d’elle est la rencontre inopinée avec des fans hystériques qui délirent tellement tout leur content qu’ils gênent tout le monde autour d’eux. Ce soir, nous avons été harcelés par une jeune fan de Kevin Barnes qui a tout fait pour nous mettre hors de nous, et nous avons frôlé la bagarre générale quand son abruti de mec s’est senti offensé que nous rappelions à l’ordre sa douce et tendre. Je raconte ce petit moment désagréable parce qu’il nous a gâché l’un des beaux moments rock (quatre guitares à la fois qui tonnaient sur scène !) du très beau set que Of Montreal nous a offert ce soir. Un set quasi parfait, sans doute un poil trop court – une heure suivie de quinze minutes de rappel -, mais constamment stimulant, joyeux, étonnant, sans prétention, souvent très excitant ; un set qui est sans doute le meilleur que j’ai vu d’un Kevin Barnes qui me semble désormais beaucoup moins déjanté, torturé, et qui s’offre désormais en entertainer festif – mais un poil narquois - à ses fans… même si nous n’avons pas eu droit au meilleur morceau de Of Montreal, The Past Is A Grotesque Animal, pourtant a priori joué à Paris quelques jours plus tôt… Le look du groupe est toujours aussi bariolé et délirant, la palme revenant au guitariste psychédélique qui semble s’être directement téléporté de San Francisco circa 1967… même si Kevin, lui, en dépit de sa coupe de cheveux asymétrique, nous la joue sobre : pas de changement de costumes, pas de maquillage, juste un rappel sans sa chemise à jabot pour chauffer les jeunes filles. Il y a toujours ces effets théâtraux sympas, avec deux acolytes, en général vêtus de noir pour disparaître dans l’obscurité de la scène, agitant draps, ombrelles, etc, blancs sur lesquels se projettent les effets de lumières colorées. Il y a toujours ces chansons déstructurées, mais très pop, très dansantes, qui sont jouées par le groupe avec un enthousiasme et une énergie communicatives qui transcendent – et de loin – les versions studio généralement un peu indigestes. Il y a surtout Kevin, sa voix, son charme, ses pas de danse, son corps entre Bowie et Iggy, le prototype même de la star planétaire potentielle, mais qui préfère (ou qui ne sait pas comment faire autrement) prendre la tête de tout le monde avec sa musique beaucoup trop compliquée.
Ce soir, même si je ne connaissais pas la moitié des chansons interprétées, chacune a fait mouche en moi : et cela, ce n’est pas donné à n’importe quel groupe ! Bien sûr, j’ai particulièrement apprécié l’énergie de She’s A Rejecter, et j’ai fondu – comme toute la Joy Eslava – sur l’imparable Heimdalsgate Like a Promethean Curse, qui reste le meilleur exemple du génie bizarre de Of Montreal… Pour le rappel, nous avons eu droit à un long medley de cinq ou six titres dont j’ai reconnu çà et là des extraits, et je me suis dit que c’était là la meilleure illustration de ce qui est formidable et de ce qui est fondamentalement déficient chez Kevin Barnes : trop d’idées, pas l’envie de les organiser, la saturation plutôt que la satisfaction…
Et alors ? Et pourquoi pas ? Dans un monde obsédé par le raisonnable et l’efficacité, Of Montreal propose l’une des plus belles rébellions qui soit, celle de l’intelligence gratuite. »
La setlist du concert de Of Montreal :
Gelid Ascent (Paralytic Stalks – 2012)
Spiteful Intervention (Paralytic Stalks – 2012)
I was Never Young (The Sunlandic Twins – 2005)
The Party's Crashing Us (The Sunlandic Twins – 2005)
You Do Mutilate? (Part One) (False Priest – 2010)
Suffer for Fashion (Hissing Fauna, Are You the Destroyer? – 2007)
Dour Percentage (Paralytic Stalks – 2012)
We Will Commit Wolf Murder (Paralytic Stalks – 2012)
She's a Rejecter (Hissing Fauna, Are You the Destroyer? – 2007)
Nonpareil of Favor (Skeletal Lamping – 2008)
A Sentence of Sorts in Kongsvinger (Hissing Fauna, Are You the Destroyer? – 2007)
Heimdalsgate Like a Promethean Curse (Hissing Fauna, Are You the Destroyer? – 2007)
Authentic Pyrrhic Remission, Part 2 (Paralytic Stalks – 2012)
Encore:
Skeletal Lamping medley (Skeletal Lamping – 2008)
Gronlandic Edit (Hissing Fauna, Are You the Destroyer? – 2007)