Lambchop - Dimanche 1er Avril 2012 - Joy Eslava (Madrid)
« Ce sera seulement la seconde fois que je vais voir Lambchop sur scène, alors que je suis - plus ou moins fidèlement - Kurt Wagner et sa bande depuis les origines : j'ai encore le souvenir très clair d'un set hyper-émouvant à la Laiterie, en 1996, et je suis ce soir à la Joy Eslava, en ce dimanche des rameaux, début de la Semana Santa, grande fête en Espagne, en espérant revivre ce genre de sensations... même si, au fil d'albums un peu uniformes, Lambchop s'est un peu trop répété sans plus atteindre l'excellence de ses premiers efforts. Ainsi "Mr. M" est séduisant, mais ne révolutionnera rien, et ne fera sans doute changer personne d'avis sur Lambchop !
20h15 : une petite voix timide, féminine, s'élève soudain du fond de la scène. Sans que personne n'y ait prêté attention, une jeune femme brune s'est assise derrière un pupitre, et accompagnée de sa guitare sèche, a entamé un set de "alt-country" - comme on dit je crois. Elle est vite rejointe par deux acolytes qui s'installent à ses côtés et étofferont sa musique timide, fragile durant une courte demi-heure. Ce n'est pas désagréable, loin de là, d'autant que la voix de la fille rappelle un peu celle de la chanteuse du regretté Tarnation, mais cela a peu d'impact émotionnel... La suavité de la musique est encore diluée par l'éloignement physique des musiciens, tout au fond de la grande scène. Curieux. Enfin, la chanteuse prend la parole, bravant son apparente timidité, et nous avoue qu'elle est complètement saoule ! C'est apparemment le dernier concert de la tournée, et elle a fêté ça dans les bars madrilènes ! Elle se lève alors, enjambe le matériel et vient chanter la dernière chanson devant nous ("oui, je vous vois, vous êtes des gens réels !") : c'est le très beau Heaven de Talking Heads, qui se prête bien à l'exercice, d'ailleurs ! Jolie fin de set. (A la fin de la soirée, je découvrirai que le nom de la fille, originaire de Nashville comme Lambchop, et qui fait aussi les backing vocals du groupe sur la tournée, est Cortney Tidwell)
C'est la pause, et il n'y a pas de changement de matériel, la première partie a donc jouer sur une partie des instruments de Lambchop, disposés en demi-cercle autour de la scène qui est donc vide au centre. Surprise, Kurt Wagner, sa fameuse casquette vissée sur le crâne, vient lui-même organiser son petit espace, sous les applaudissements : Lambchop, c'est toujours une petite entreprise "familiale", entre amis plutôt. Kurt est donc assis sur la droite, en biais par rapport au public, et je me suis placé au centre, légèrement sur la gauche, comme me l'avait judicieusement recommandé Gilles qui a vu le groupe cette semaine à Paris...
21h07 : les 6 musiciens de Lambchop (ils seront 7 sur certains morceaux) s'installent, et d'emblée, Kurt Wagner va frapper très fort... A sa manière, ce qui signifie le plus calmement et le plus doucement possible : Give It, en intro littéralement susurrée par Kurt, en solo, pendant que le groupe le regarde, sans doute aussi fasciné que nous le sommes... Oui, la voix de Kurt reste complètement magique, et nous emporte immédiatement dans un univers de douceur, de chaude mélancolie, d'empathie, de compassion même... Le monde de Lambchop est un monde humain, à la différence du nôtre...
Magnifique enchaînement au piano de Tony Kroll, le vieux complice de Kurt, et le groupe démarre : c'est absolument superbe, le son est chaud et feutré, magnifié par l'acoustique parfaite de la Joy Eslava. Un grand silence règne dans la salle bien remplie, ce qui est rare, voire même exceptionnel à Madrid ! Tout le monde semble accroché aux lèvres de Kurt, le temps est suspendu. C'est If Not I'll Just Die, chanson bouleversante en hommage à Vic Chesnutt, l'ami décédé récemment : grand moment d'émotion, on remarque que Kurt chante de manière très intense, fiévreuse par instants, comme secoué par de mini-crises de nerfs, c'est surprenant et indiscutablement, cela permet à Lambchop de transcender ses morceaux par rapport à leur exécution tranquille sur les albums... Comme sur "Mr. M", c'est ensuite le plus accueillant 2B2 qui suit, avec à la fin une superbe envolée (eh, Kurt, pourquoi tu ne nous les joues pas comme ça sur tes disques ? Je suis certain que tu en vendrais plus...).
Je l'ai dit, Lambchop, c'est ce soir 6 ou 7 musiciens, en comptant le trio de la première partie : de gauche à droite, la batterie, la basse, les claviers / la guitare électrique, les backing vocals, la pedal steel, le piano, puis Kurt, assis avec deux guitares, l'une électrique, l'autre acoustique, regardant vers le centre de la scène : pour ceux qui se sont placés complètement sur la droite, c'est mauvaise pioche, ils ne le verront que de dos ce soir ! A noter que Kurt a les paroles de chaque chanson sur une feuille posée devant lui, qu'il jette de côté quand elle ne lui sert plus.
"This was their last night on the set..." : Gone Tomorrow, et son souffle romantique porté par un pedal steel rêveuse, avant que le morceau se mette aussi à décoller, pour déboucher sur une seconde partie instrumentale subtilement déconstruite... Tout au long du set, on verra, fascinés, Kurt frapper presque nerveusement les cordes de sa guitare électrique quasi éteinte, une guitare au son très étonnamment étouffé... Soit comment en donner plus en en faisant le moins possible...! La formule Lambchop, quoi ! De très longs applaudissements suivent après chaque morceau, tranchant avec le grand silence qui règne pendant chaque chanson, le tout créant une atmosphère intimiste assez irréelle.
Il me semble que Lambchop interprète la quasi-totalité des titres de "Mr. M" (plus ou moins dans l'ordre ?), jusqu'au délicat Never Been In Love Before... Kurt interrompt alors le set pour la présentation des musiciens du "Festival of Love", comme ils disent. Kroll prend la parole pendant que Kurt réaccorde sa guitare pour la fin du set ("You focus on the comedy, I focus on the music" ironise Kurt). Oui, il y a clairement une grande complicité entre les deux. "Puisque vous avez été patients sur ces chansons inconnues ou presque, et que cela a l'air de marcher pour nous, nous allons continuer avec du matériel plus ancien, mais tout aussi obscur..." rigole Kurt avant de poursuivre... Et c'est vrai que je suis bien en peine de mettre des titres sur les chansons, mais bon, peu importe... A l'exception du magnifique My blue Wave, tiré de mon album préféré, « Is A Woman » ... Puis on a encore droit à encore un petit intermède fantaisiste de Kroll au piano, cette fois en l'honneur de la petite Cortney, qui apparemment travaillait dans un 7 Eleven. Kurt : "On va chanter une dernière chanson, puis aller uriner, et revenir en chanter une autre. Voilà, c'est le plus honnête qu'on puisse être !"... Ils se retirent (pour aller pisser, donc...) après 1h20. En fait ils reviennent vite (ont-ils eu même le temps de pisser ?).
En rappel, on a droit à un duo vocal Kurt (gesticulant, tout content sans sa guitare) et Cortney sur une reprise de Brian Wilson (Guess I'm Dumb ?). Puis un second morceau, d'abord swinguant puis franchement rock'n'roll pour conclure le set un sourire aux lèvres. "On est Lambchop, si vous avez passé la meilleure soirée de votre vie. Si au contraire vous avez des raisons de vous plaindre, alors on est les Kings of Leon !"... Sacré Kurt, il nous fera toujours rire ! Comme c'est le dernier concert de la tournée, Kurt adresse ses remerciements musicaux à toute l'équipe technique... Une dernière chanson tendre, et c'est fini, après un peu plus d'une heure trente-cinq minutes d'un set presque parfait (pourquoi presque ? Peut-être que j'aurais apprécié quelques montées en tension en plus, et aussi plus des premières chansons de la carrière du groupe...).
Les musiciens viennent saluer au bord de la scène, et, tout d'un coup, Kurt se penche sur moi, et me dit "thank you", presque à l'oreille. Je reste sidéré, j'espère que je ne l’ai pas gêné en prenant mes photos (sans flash bien sûr)... Mais ce n'est pas le genre du bonhomme, alors je suppose que c'est un vrai "merci", spécialement pour moi, parce que je suis plus près de son âge que le reste du public, parce que j'ai passé de longs moments absorbé dans la musique à penser à mon Inés et à ma Clara. Parce que Kurt est comme ça, et que c'est pour ça qu'on l'aime. »
La setlist du concert de Lambchop :
Give It (loop) (Rainer on My Parade / Live – 2008)
If Not I'll Just Die (Mr. M – 2012)
2B2 (Mr. M – 2012)
The Good Life (Is Wasted) (Mr. M – 2012)
Kind Of (Mr. M – 2012)
Gone Tomorrow (Mr. M – 2012)
Betty's Overture (Mr. M – 2012)
Mr. Met (Mr. M – 2012)
Nice Without Mercy (Mr. M – 2012)
Buttons (Mr. M – 2012)
Never My Love (Mr. M – 2012)
My Cliché (The Decline of Country and Western Civilization, Part 2: The Woodwind Years – 2006)
My Blue Wave (Is a Woman – 2002)
Encore:
Guess I'm Dumb (Glen Campbell cover)
Up With People (Nixon – 2000)
I Threw It All Away (Bob Dylan cover)