Elbow - Samedi19 Novembre 2011 - Sala San Miguel (Madrid)
« Elbow ! L'un des meilleurs groupes apparus ces dernières années, à mon humble avis (enfin, "apparus", je m'entends, car ça fait quand même 20 ans que le groupe existe... Il nous demanderons d'ailleurs de leur souhaiter leur anniversaire au milieu du concert !)... Même si Elbow n'officie pas directement dans les genres qui me séduisent le plus : c'est que le talent, quand il est si énorme, transcende les genres et les préjugés. Elbow à Madrid, en cette saison chichiteuse, c'est le gros cadeau de Noel avant Noel, l'occasion de vibrer à nouveau, comme on vibrait autrefois, avant que l'usure ne fasse son œuvre (trop de musiques, trop de concerts ?). Un coup d'angoisse le samedi après midi quand nous nous apercevons que nos plans baby sitter sont tous tombés à l'eau, mais finalement, tout s'arrange, grâce au réseau Campofrio.
A 19 h 30, Inés et moi rejoignons une petite queue qui s'est déjà formée devant l'entrée Nord du Palacio Vistalegre, queue constituée d'une grande partie d'Anglais, d'ailleurs. C'est ce soir l'occasion de découvrir la nouvelle salle San Miguel, récemment créé dans l'enceinte du Palacio : nous découvrons donc cet "espace" conçu pour 2000 personnes, avec une grande et haute scène et deux mètres de recul du fait des barrières de sécurité. Un peu surprenant au premier abord, puisqu'il ne s'agit pas d'une salle "fermée", mais d'un espace aménagé au sein des couloirs du Palacio Vistalegre... Ce qui me fait craindre un son médiocre : heureusement, ça ne sera pas le cas... Nous sommes placés au premier rang, comme toujours, sur la gauche, avec à notre droite des Anglais et à notre gauche une fan absolue du groupe, qui semble les suivre sur leur tournée européenne : ce qui est peu commun, c'est qu'il s'agit d'une dame qui a bien la quarantaine. Il faut dire que le public d'Elbow est beaucoup plus hétérogène que le public habituel des concerts, il y a pas mal de quadragénaires, voire plus (eh oui !), mais tout le monde paraît animé d'une ferveur singulière : il est clair qu'Elbow est ce genre de groupe qui, littéralement, rallume la flamme...
Mais avant l'extase promise, il nous faut nous farcir une demi-heure de Howling Bells, une formation tout-à-fait dispensable, sinon même ridicule, qui joue fort et sans subtilité une sorte de rock seventies sur laquelle "beugle" une brunette certes pas moche, mais rapidement irritante au possible. Bon, soyons honnête, elle n'a pas une voix si mauvaise que ça, mais l'absence tragique d'inspiration tue littéralement chaque tentative lyrique. Howling Bells (finalement, le nom du groupe veut tout dire), c'est vite très, très pénible, une sorte de caricature de ce que le rock peut être quand ni l'esprit ni le talent ne l'habitent.
21 h 30 pile, avec une ponctualité toute britannique, Elbow entre en scène sous une ovation impressionnante. Bon, les cinq musiciens ne payent pas de mine, avec leur look de quadragénaires mancuniens que l'on imagine plus au pub une pinte à la main que sillonnant le monde à jouer du rock'n'roll. Les premières notes de The Birds s'élèvent, Guy Garvey est déjà au bord de la scène, le micro à la main, fixant dans les yeux les spectateurs du premier rang (c'est-à-dire nous) avec une intensité chaleureuse presque déstabilisante : cette attitude d'implication totale, individuelle - Guy pointe le point vers nous, un par un, en chantant, nous fixant dans les yeux et nous adressant à chacun un large sourire - est pour moi quelque chose de très rare, les artistes se protégeant en général contre "le trac" en considérant le public ou comme une entité globale, une vaste masse anonyme dans le noir, ou même comme n'existant pas !
Plus tard dans la soirée, nous aurons d'autres exemples de cette "personnalisation" du spectacle par Guy : il s'adressera à plusieurs reprises aux Anglais présents dans la salle pour leur demander de se comporter en "invités" respectueux, d'arrêter de créer du tumulte avec leurs chansons de supporters de foot ("personne n'aime le foot ici", lancera-t-il avec cet humour anglais irremplaçable...) ; il arrêtera Weather to Fly en plein milieu et fera rallumer la salle pour superviser l'évacuation d'une jeune femme évanouie, qu'il fera par ailleurs applaudir ; il "recrutera" notre voisine de gauche comme traductrice pour mieux expliquer une introduction de chanson à la salle (... même si la pauvre aura un peu de mal avec l'accent "northern" de Guy et se fera finalement "virer" ! LOL)... Tout cela fait qu'un concert d'Elbow se vit d'une manière émotionnellement différente, et confirme que l'attention portée à l'autre, l'extrême humanité de l'attitude de Guy n'est pas qu'un "thème artistique" pour les chansons d'Elbow : l'objectif de Guy est clairement d'atteindre à l'émotion la plus juste, la moins artificielle possible, à travers sa musique, mais aussi grâce à "l'expérience complète" offerte par Elbow sur scène...
... The Birds, donc... Comme sur le disque, la chanson commence en douceur, la voix de Guy n'est pas encore impressionnante, elle est un peu trop couverte par les instruments - même si le son est absolument excellent, dissipant mes doutes sur la Sala San Miguel... Et puis c'est ce magnifique démarrage à mi-course, quand le morceau décolle littéralement : ça y est, c'est gagné, cela ne fait que quelques minutes que Elbow est sur scène, et c'est le premier moment d'extase, ce léger basculement de la réalité (on parle souvent de "petit orgasme" quand on évoque cette sensation étrange, tellement satisfaisante, entre fans de concerts) que l'on espère en live. Ça y est, c'est confirmé, Elbow est aussi GRAND que je l'espérais à l'écoute de leur sublime album, "Build A Rocket Boys", et ce soir, on va vivre une poignée de moments exceptionnels que seule une poignée d'artistes savent offrir sur scène.
La setlist de la tournée, a priori identique chaque soir (il n'y a pas de setlists en papier sur scène) propose un mélange des deux derniers albums, les chansons plus classiques - plus faibles à mon avis - de "Seldom Seen Kid" et les morceaux plus aventureux, et incroyablement frappants en live, de "Build a rocket..." : le résultat est une agréable succession de pics d'émotion intense et de moments de respiration, de sérénité, de tendresse même. Neat Little Rows est le passage le plus percutant de la soirée, qui prouve la puissance d'Elbow, quatre musiciens discrets, presque anonymes, vêtus de noir, conduits par la masse débonnaire mais intense de Guy, qui en remontraient à bien des groupes de stade (je pense un instant à la médiocrité d'un Coldplay quelques semaines plus tôt, et je me dis que la vie est injuste...). The Night will always win est la première occasion de la soirée de jouir, oui c'est le mot, de la voix sublime de Guy dans une ambiance musicale dépouillée : bouleversant, tout simplement, avec ces paroles tranchantes dont Guy a le secret (un grand parolier, Guy, et ça devrait se savoir de plus en plus...), cette mélodie parfaite, et ce tremblement de la vie qui distingue les chansons d'Elbow de celles de la concurrence.
Dans la belle lumière qui nimbe les musiciens (pas faite pour les photos, mais bon...!), avec le soutien de deux jeunes femmes aux instruments à corde, Elbow nous proposera en 1h40 une étonnante palette d'émotions : moments intimistes donc quand Guy chante seul à côté de son claviériste, célébration de l'amitié quand le groupe boit à notre santé ("Salud !" lance Guy, avant de demander la prononciation exacte, ce qui nous conduira à l'intermède cocasse de la "traductrice") à l'occasion de la célébration de son 20ème anniversaire, et puis, parce que Elbow a aussi un vrai potentiel "commercial", émulation collective sur les "crowd pleasers" que sont Open Arms en fin de set avant le rappel, et One Day Like This en grand finale extatique.
Mais pour moi, et ce n'est pas une surprise, le summum de la soirée sera Lippy Kids, chanson parfaite, parfaitement interprétée avec le support des violonistes, et cette voix étrange, si attachante de Guy : comme si Sting avait du coffre et avait appris à chanter, en fin de compte...! Inés pleure à chaudes larmes à mes côtés, et le millier de personnes à nos côtés dans la Sala Miguel semble dériver au fil de la musique, la tête dans les étoiles et le cœur gonflé d'espoir. Immense pouvoir de la musique, immense bonheur de sentir notre foi renouvelée par ces 100 courtes minutes qu'Elbow nous a offert ce soir.
Pas envie de partir, j'ai "open arms for broken hearts" qui tourne en boucle dans ma tête, Inés regrette de n'avoir pas entendu With Love, seule absence notoire sur la setlist, nous buvons un verre en attendant que la salle se vide. Je sais que, dès le lendemain, je vais reprendre mon prosélytisme : il faut qu'Elbow rencontre le succès qu'il mérite absolument. Avec Arcade Fire, dans un genre évidemment très différent, mais tout aussi près du cœur, il s'agit du groupe le plus apte à "changer votre vie" actuellement en activité.
Les musiciens de Elbow sur scène :
Mark Potter : guitare.
Richard Jupp : batterie.
Craig Potter : clavier, guitare.
Pete Turner : basse.
Guy Garvey : chant, multi-instrumentiste
La setlist du concert de Elbow :
The Birds (Build a Rocket Boys! – 2011)
The Bones of You (The Seldom Seen Kid – 2008)
Mirrorball (The Seldom Seen Kid – 2008)
Neat Little Rows (Build a Rocket Boys! – 2011)
Grounds for Divorce (The Seldom Seen Kid – 2008)
The Loneliness of a Tower Crane Driver (The Seldom Seen Kid – 2008)
The Night Will Always Win (Build a Rocket Boys! – 2011)
Some Riot (The Seldom Seen Kid – 2008)
Dear Friends (Build a Rocket Boys! – 2011)
Lippy Kids (Build a Rocket Boys! – 2011)
Weather to Fly (The Seldom Seen Kid – 2008)
Open Arms (Build a Rocket Boys! – 2011)
Encore:
Starlings (The Seldom Seen Kid – 2008)
Station Approach (Leaders of the Free World – 2005)
One Day Like This (The Seldom Seen Kid – 2008)