Florence + The Machine - Lundi 15 Mars 2010 - Sala Heineken (Madrid)
« Florence et moi, c'est une histoire compliquée. La première fois que je l'ai vue, je l'ai cordialement détestée (avec une petite pointe de mépris pour pimenter le tout), avec ses fringues de bab', sa déjante de junkie illuminée, et ses Kate Busheries vocales. Elle s'est roulée par terre devant nous (Gilles était là aussi...), mais je l'ai ignorée. Elle m'a d'ailleurs ignoré largement aussi, même si nous n'étions séparés que par deux mètres (c'était au Bataclan). Je l'avais effacée de ma "liste" et de ma mémoire, quand me sont parvenues des nouvelles d'elle, et de ses... "Poumons", qu'elle a fort beaux, d'ailleurs. Mon ami Vik me disait du bien d'elle, me soutenait qu'il faudrait que je révise mon jugement trop hâtif, et j'ai commencé à lire le nom de Florence un peu partout. Rien à dire, si ce n'est que j'étais intrigué, et j'ai fini par écouter ce que Florence avait à me dire, avec ces fameux "poumons". Et j'ai bien aimé. Après tout, à mon âge, la vie m'a appris qu'il faut donner une seconde chance aux gens, et surtout aux femmes, non ? J'ai donc pris rendez-vous avec Florence pour ce lundi 15 mars, à Madrid, devant une Heineken. Bien sûr, je n'espérais pas trop que nous serions seuls pour un tête à tête, mais j'ai quand même été choqué de trouver à mon arrivée un groupe conséquent de jeunes Anglaises et de (moins jeunes) Espagnoles lesbiennes (les Espagnoles, pas les Anglaises, a priori) massées devant l'entrée. J'étais un peu crispé pour ce second rendez-vous en public : Florence allait-elle une nouvelle fois me faire son grand numéro et me décevoir ? Auquel cas, ce serait la dernière fois, je me le suis bien juré...
Malgré l'assaut de la gente féminine, j'arrive à me placer, d'extrême justesse, au premier rang des admirateurs (et -trices) de Florence : devrais-je avoir des doutes sur les préférences sexuelles de Florence ? La question mérite en tout cas d'être posée. Bon, Florence a toujours ce goût du kitsch poussiéreux qui cadre mal avec mes propres préférences esthétiques : le fond de la scène est caché par une affreuse draperie, et il règne sur scène un fouillis indescriptible, qui me fait douter des qualités de femme d'intérieur de Florence...
Mais ce soir, Florence a pris un gros risque, celui de me présenter Sian Alice, et de me laisser 25 minutes avec elle, son groupe (Sian Alice Group) et sa musique. Parce que Sian, dans la droite ligne de nos prêtresses gothiques de toujours, est une belle vierge noire et glacée, à la voix un peu innocente (quand même) et à l'allure aussi rêveuse qu'envoûtante. Et derrière elle, ses amis déroulent un tapis de musique d'abord planante et sensuelle, puis de plus en plus intense, voire furieuse, jusqu'à une envolée finale véritablement prenante. Des chansons curieuses qui n'en sont pas, puisqu'elles n'ont ni réelles mélodies ni refrains, mais qui sont construites comme de lentes progressions continues vers l'hypnose, puis le nirvana, puis l'explosion. A noter aussi un jeu et un son de basse marquants, ce qui n'est pas si courant, et un final presque grandiose... Et voilà comment, en une petite demi-heure de plaisir, j'ai presque oublié mon rendez-vous avec Florence ! Impressionnante ovation du public, méritée à mon avis.
Ensuite, les hommes de Florence dégagent la scène et la réinstallent totalement pour elle, pour ses cinq musiciens, sa harpe, sa batterie et son pied de micro couverts de fleurs artificielles hideuses, et... pour, du moins je ne peux pas m'empêcher d'y songer en frissonnant, sa "machine"...
21h40 : comme toutes les belles femmes, Florence (+ The Machine) se fait attendre, et attaque notre rendez-vous avec quarante minutes de retard, et après que son groupe ait pris possession de la scène dans une ambiance fantastique (semi-obscurité et respiration déchirante sur la sono) : tout de suite, dans un jeu de lumières aussi intimiste que théâtral, Florence me plonge au cœur de "Lungs", avec Howl : grande rousse jouant de sa chevelure de feu, peau blanche et look troublant d'Anglaise vaguement languide, Florence transcende ses origines en se transformant en sorcière virevoltante dans un sabbat imaginaire, comme possédée par sa propre musique, marionnette souvent désarticulée malmenée par le Malin qui tire sans pitié sur ses ficelles. Florence, très vite, hurle à pleins... poumons (pourquoi donc quelqu'un lui a-t-il mis entre les mains un micro ? Elle n'en a nul besoin !). L'évolution de Florence depuis notre première rencontre est impressionnante : finis les délires hippies, voici désormais une harpie vociférante qui se déchaîne, bientôt pieds nus, sa robe transparente dévoilant de belles jambes blanches jusque très haut, entraînant avec elle sans son délire païen le public vite conquis. Oui, vite, très vite, malgré le niveau sonore plus que conséquent, on n'entend plus que les centaines de jeunes filles et de jeunes gens autour de moi qui chantent en chœur l'intégralité des morceaux de l'album : on frôle l'hypnose collective, Florence est-elle la chef d'une secte qui va s'immoler ce soir devant les panneaux publicitaires verts d'une bière de luxe ? Kiss With A Fist... Florence m'avertit qu'elle aime que dans un couple, ça castagne : l'amour, oui, mais vache. Il faut être prêt à tout avec elle !
Mais, mais, entre deux chansons, voilà que la méchante sorcière rouge se métamorphose en fillette timide, toute penaude de mener son public madrilène vers de tels excès : elle minaude, elle rougit, Florence, quand le démon de la machine la quitte, serait-elle une jeune anglaise banale ? Coucou aux parents, à la famille qui est venue voir fifille faire la folle jusqu'en Espagne. D'ailleurs, la jolie organiste blonde qui semble sortir du Conservatoire avec sa robe de soirée fait elle aussi un bonjour à ses parents au balcon... On n'est pas à un concert de rock, là, ce soir, si ? Et puis, amener ses parents à notre deuxième rendez-vous, elle exagère un peu, Florence, non, vous ne trouvez pas ? Ceci dit, moi, ce qui me gêne le plus, c'est quand Florence nous fait la braillarde, les bras grands écartés comme à la proue du Titanic : moi, j'ai des remontées d'acide gastrique en cauchemardant sur une Canadienne gueularde et populaire... Est-ce ce genre de destin qui attend notre sorcière
bien aimée ? Non, non : arrive The Drumming Song, l'un des sommets de l'album, et du concert ce soir, et sous les percussions qui déferlent, Florence devient caisse de résonnance de toutes nos douleurs, nos tortures. Quand elle se contorsionne, en transe, ce n'est plus ridicule, c'est magique. Et ça continue, toujours aussi sublime, avec Cosmic Love, la transe revient totale, c'est pétrifiant d'un seul coup, et je réalise pourquoi la presse anglaise parle de "prestations scéniques exceptionnelles" à son propos : devant nous, il se passe quelque chose, Madrid retient son souffle, puis les gens se mettent à hurler, une vague d'hystérie déferle un court instant. Florence en est le médium, c'est une chose rare que d'assister à ça, oui, oui... Ce qui est drôle, c'est que presque immédiatement, alors que la chanson se poursuit, Florence recule, elle brise la transe, alors que tous les regards sont fixés sur elle, ceux de ses musiciens comme ceux du public : comme si elle s'excusait, elle fait un petit signe ironique... elle est allée trop loin, là où la musique devient si puissante qu'elle est dangereuse. On ne l'y reprendra plus de tout le reste de la soirée, qui restera désormais dans les limites du spectacle bon enfant...
Une heure a passé, on finit par une version torrentielle du magnifique Dog Days are Over, mais alors qu'une nouvelle extase se pointe, Florence en fait trop : elle organise un pogo géant dans la salle, on n'est plus dans un bal des sorcières, on est au cirque. Dommage... De jeunes Anglaises profitent du chaos général qui s'ensuit pour se glisser au premier rang, alors que de nombreuses personnes perdent pied. Moi, je suis cramponné à ma barrière, et je ne vais pas abandonner Florence sans combattre. C'est la pause avant le rappel, qui se déroulera de la manière la plus conventionnelle qui soit : You’ve Got The Love pour considérer un avenir de diva soul et faire plaisir à la frange la plus "pop" du public, puis un Rabbit Heart que tout le monde chante en chœur, oui, le crique continue, la magie puissante ne
reviendra plus. Une heure quinze ou presque, Florence est en train de devenir une star, même si je suis incapable de prévoir ce qui va se passer pour une jeune femme aussi... différente, aussi... étrange.
Encore titubant au milieu de cet étrange sentiment d'hystérie surnaturelle, je me dirige vers le stand de merchandising, au milieu duquel je repère la superbe Sian : bon, mon choix est vite fait, je laisse Florence à ses sorcelleries, et je vais plutôt converser avec cette jeune londonienne timide qui a monté un groupe et qui se désespère ce soir de la fin d'une tournée magique qui l'a vue se faire acclamer par des foules à travers l'Europe. En vieux sage (que je ne suis pas), je lui explique que j'écoute du rock depuis plus de 35 ans, et que je suis toujours heureux, et touché, de voir de jeunes artistes comme elle qui prennent ainsi la route, le chemin le plus escarpé pour défendre leur musique. Elle me dessine un cœur sur la pochette de son CD, je lui souhaite bonne chance, et je sors sans me retourner dans la nuit froide. J'ai tout oublié de mon rendez-vous avec Florence, je ne regrette pas de n'avoir toujours pas compris QUI était "la machine", mais je suis enchanté ce soir d'avoir, encore une fois, constaté de visu que la femme est l'avenir du rock. »
La setlist du concert de Florence + The Machine :
Howl (Lungs – 2009)
Kiss With a Fist (Lungs – 2009)
Hurricane Drunk (Lungs – 2009)
My Boy Builds Coffins (Lungs – 2009)
Between Two Lungs (Lungs – 2009)
Hardest of Hearts (Lungs – 2009)
Drumming Song (Lungs – 2009)
Cosmic Love (Lungs – 2009)
Blinding (Lungs – 2009)
I'm Not Calling You a Liar (Lungs – 2009)
Dog Days Are Over (Lungs – 2009)
Encore:
You've Got the Love (The Source cover)
Rabbit Heart (Raise It Up) (Lungs – 2009)