Bérurier Noir -Jeudi 3 Mars 1988 - Zénith (Paris)
« Depuis deux ou trois ans, un véritable mouvement souterrain politico-musical s’est épanoui dans les squats et les banlieues désaffectées de la Capitale. Sans véritable étiquette (képon ?), ce mouvement est un écho bien français aux secousses anarcho-punkisantes du Londres de la décennie précédente. Les Bérurier Noir (appelons-les plutôt comme tout le monde, d’après San Antonio, les Bérus) en sont l’un des groupes majeurs, dont la popularité dépasse désormais la zone et envahit nos lycées et nos radios (avec leur hit enfantin et irrésistible, l’Empereur Tomato Ketchup) ! Les Bérus au Zénith de Paris, c’est l’évènement du printemps : la zone sortant de son camp retranché, risquant tous ses principes d’intégrité au feu du succès public, sous les caméras des medias. Polémique, non ?
Le résultat : passionnant, et très… mais alors très IMPRESSIONNANT !!! Du démarrage terrible (équipés de masques à gaz, les Bérus émergent, tels les fantômes de notre futur, au milieu d’un déluge d’électricité) au final punkoïde (les chansons slogans, seul véritable héritage du passé clashien), en passant par les danses avec drapeaux rouges (évoquant une certaine esthétique soviéto-maoiste), les mimes inspirés et les ambiances « Foire du Trône » (cracheurs de feu, merci pour les éclaboussures !), tout était à la fois furieux, gai, follement entraînant, spontané… Du jamais vu, en fait ! Beaucoup de monde sur scène, dans un défilé incessant de danseurs, de choristes, de clowns, avec beaucoup de déguisements et de masques drôles et effrayants, illustrant les messages anti-système, anti-dictature des chansons… Beaucoup de monde dans le Zénith aussi, le groupe ayant finalement décidé, en toute cohérence avec leurs idées libertaires, de laisser entrer tout le monde gratuitement… Et jamais, c’est intéressant de le dire, je n’ai ressenti aucune crainte au cours de la soirée, tant l’agressivité exprimée par le groupe comme par son public m’a semblé intelligemment canalisée, soutenue par le DISCOURS anarchiste du mouvement…
Oui, ce spectacle incroyable que les Bérus ont offert à Paris, ça a été à coup sûr pour moi l’occasion de réaliser à quel point le Rock (officiel, confirmé, reconnu, classifié, « encharté ») a perdu de son pouvoir de magie et surtout, de rébellion. Les Bérus font du bruit, chantent des hymnes d’ivrognes, de fins de noces, conspuent fièrement la bêtise du FN (Porcherie : « La Jeunesse emmerde le Front National », hurlé à tue-tête, ad lib, la gloire au cœur !), étonnent et émerveillent. Le tout avec UNE (1 !) guitare en tout et pour tout, oui, comme seul « véritable » instrument (avec l’ajout occasionnel de cuivres, quand même… !)…
De quoi se sentir, enfin, fiers d’être français. Allez, légion d’honneur pour tous !!! »
Photos de Patrick M. - Merci à lui !!!