Jeanne Added - Mardi 30 Octobre 2018 - Le Trianon (Paris)
« Depuis son premier album, on peut dire qu'elle a progressé, Jeanne ! Son talent est désormais reconnu bien au-delà de son public d'origine - disons "rock" sympathisant LGBT -, et sa cote sur un marché français pauvre en artistes à la fois populaires et exigeants est au plus haut : c'est donc une chance de pouvoir la voir et l'écouter dans une salle aussi "modeste" et accueillante que notre cher Trianon !... Même s'il faut partager notre amour pour Jeanne avec un public plus middle of the road, au milieu duquel on distingue quand même - et heureusement - pas mal de jolis couples de filles.
Je me suis placé exceptionnellement au balcon, en surplomb direct de la scène sur la gauche, pour raison familiale : ma fille de 7 ans et demi est avec nous pour son premier concert : un événement !
20h00 : Précédée d'une solide réputation, Alice Lewis débute un set qui s'avérera rapidement très moyennement convaincant. La jeune femme - au pedigree déjà impressionnant (musiques de films, collaboration avec de grands noms) - chante bien, avec une voix haute capable par instants de prouesses étonnantes, mais cela ne suffira pas à rendre sa "demi-heure syndicale" intéressante. La faute à des chansons à la lisière de la variété française la plus banale ? A un certain manque de personnalité de sa voix, qui sonne toujours dans le même registre ? A une absence complète de charisme, ou tout au moins de présence scénique, puisque Alice ne bouge pas, et communique très peu avec le public (ou alors maladroitement comme lorsqu'elle présente son groupe, en s'embrouillant sur le fait que Alice Lewis est son nom à elle ou celui du groupe... amusant !) ? Ou encore à des musiciens pas très impressionnants non plus... hormis Jérôme Laperruque, excellent bassiste et chanteur occasionnel ? C'est d'ailleurs en duo avec Jérôme que la voix d'Alice fonctionne le mieux, dans une ambiance sixties façon Gainsbourg, d'un coup plus charmante... La dernière chanson, prétentieuse et interminable, plante le dernier clou dans le cercueil de ce set raté : Alice voudrait sans doute sonner comme Kate Bush ou Alison Goldfrapp, mais c'est malheureusement hors de sa portée.
20h55 : Trois musiciens font leur entrée et se placent en ligne dans le fond de la scène pour lancer la machine : deux claviers et un batteur, à l'équipement fort électronique lui aussi, la soirée sera clairement électro ! Eclairages blancs (sauf pour A War is Coming, qui sera baigné de lumière rouge, comme lors de la tournée précédente...), son impeccable, et beaucoup d'espace laissé à Jeanne Added sur scène, qu'elle aurait d'ailleurs pu exploiter plus, même si elle nous offrira de jolis passages façon dance-floor au cours de son set...
L'intro s'éternise un peu, c'est Remake, qui s'avère indéniablement plus puissant que sur disque. La voix de Jeanne est parfaite, son chant puissant parfaitement maîtrisé, elle confirme d'entrée de jeu qu'elle est sans doute notre meilleure chanteuse actuelle en France - et de loin, a-t-on envie d'ajouter. De manière assez surprenante, le second morceau est calme, ce qui fait retomber l'excitation... et témoigne d'emblée de la grande faiblesse de la soirée : une setlist mal construite, pleine de déséquilibres et de "trous d'air", qui vont empêcher le show de vraiment décoller, ou tout au moins de rester à haute altitude… Et puis Jeanne attaque Radiate, et d’un coup, quelque chose se passe, alors que le morceau se durcit, que Jeanne dégage énergie, rage, colère : le public accroche, les sons électroniques bastonnent, c’est tout simplement magnifique. Si le concert continuait dans cette veine, ce serait la tuerie qu’on attend de quelqu’un comme Jeanne. Las ! Ce sera là le seul vrai moment d’intensité de la soirée, et l’on ne retrouvera plus cette sensation exquise pendant l’heure et demie du set…
Mutate est certes magnifique – ce n’est pas une découverte – et je vois des larmes qui coulent sur certains visages, mais sans doute trop fidèle à la version de l’album pour son propre bien. Le superbe Falling Hearts manque lui aussi de la puissance qu’on est en droit d’attendre sur scène. Mais il est temps d’attaquer les chansons du premier album, sans doute moins belles, mais aussi plus percutantes : il leur incombera de rattraper ce démarrage un peu tiède. Back to Summer – transfiguré par sa métamorphose de pure électro -, Miss it All, ou le fantastiquement méchant Lydia rallumeront à chaque fois la flamme, mais il est clair que l’objectif de Jeanne est de faire danser tout son monde, plus que de nous offrir une performance au sens classique du terme : modestie ? manque d’ambition ? Elle ne se comportera jamais comme une star, ce qui est plutôt bien, mais, à l’inverse, on peut déplorer que sa familiarité, sa simplicité, nuisent à la construction de l’imaginaire nécessaire à ce que l’alchimie si délicate des grands concerts advienne. Jeanne danse, et elle veut que tout le monde danse et s’amuse, mais désolé… c’est un peu court !
Je vois d’ailleurs bien autour de moi que la foi de son public de fans fidèles est entamée par ce virage électro hédoniste. « Je me suis emmerdée toute la soirée ! » sera le verdict d’une jeune femme derrière nous. Et je le comprends, parce que ce soir, il y avait certes de la bonne musique qui bastonnait, mais il n’y avait pas assez d’âme…
… Un exemple de supplément d’âme, c’est évidemment A War is Coming, LE moment Rock de la soirée, qui nous l’offre : on aurait aimé que ça dure plus longtemps ! Arrive le rappel, qui commence par deux morceaux en solo : Jeanne est seule, avec sa basse aussi grosse qu’elle, revisitant sa première période, celle plus expérimentale, plus rude, d’avant le succès du premier album. C’est courageux, et c’est justement le genre de choses qui peut renverser la situation, mais, comme ça avait été d’ailleurs le cas il y a trois ans, c’est finalement un peu ennuyeux. Pas certain que Jeanne ait déjà la carrure pour relever ce genre de défis… Le set se termine par un beau sing along général, et par les derniers beat électro de la soirée, mais c’est trop tard.
Un concert un peu décevant, en deçà de ce que le talent de Jeanne Added nous laissait espérer. Pas grave quand même, on n’en est qu’au début, Jeanne a encore un long chemin de succès devant elle, et on peut être certains qu’elle se construira comme artiste scénique, comme elle l’a fait sur disques… »
La setlist du concert de Jeanne Added :
Remake (Radiate – 2018)
Harmless (Radiate – 2018)
Radiate (Radiate – 2018)
It (Be Sensational – 2015)
Both Sides (Radiate – 2018)
Mutate (Radiate – 2018)
Falling Hearts (Radiate – 2018)
Back to Summer (Be Sensational – 2015)
Look at Them (Be Sensational – 2015)
Miss It All (Be Sensational – 2015)
A War Is Coming (Be Sensational – 2015)
Lydia (Be Sensational – 2015)
Before the Sun (Radiate – 2018)
Encore:
(Unknown)
Liebe (EP#1 – 2011)
Song 1-2 (Radiate – 2018)
Suddenly (Be Sensational – 2015)
Cette chroniqie a déjà été publiée à l'époque du concert sur les blogs manitasdeplata.net et benzinemag.net