Dominique A / My Brightest Diamond - Samedi 14 Avril 2018 - Philharmonie (Paris)
« Week-end un tantinet "institutionnel" à la Philharmonie pour l'ami Dominique A, avec une soirée électrique (celle que, logiquement, j'ai préféré...), et une soirée acoustique en solo, et des amis et invités (Mermonte, My Brightest Diamond) : le "patron" de l'ex-nouvelle chanson française serait-il devenu lui-même une institution ? Connaissant l'animal - et l'appréciant depuis longtemps - je peux affirmer que le risque est nul ! En témoigne le nouvel album, "Toute Latitude", moins réussi que les précédents et en particulier l'éblouissant "Éléor", mais témoignant d'une pugnacité et d'un goût pour la remise en question rassurants.
Ce soir, dans la belle grande salle de la Philharmonie, le public est - sans surprise mais c'est néanmoins encourageant - d'âges divers et variés. Le premier rang, plein centre, n'est pas trop dur à assurer même si quelques quinquas essaient, les malheureux, de me prendre à la course lors du rush final...
20h30 : My Brightest Diamond, voilà une artiste à côté de laquelle je suis toujours passé, un peu effrayé par l'image de diva un peu perchée qu'elle dégageait. Au vu des cinquante minutes parfaites qu'elle nous a offertes ce soir, ce fut une grosse erreur : une voix stupéfiante, certes plus du côté de la technique de chant classique que de l'énergie rock'n'rollienne, une présence scénique à la fois émouvante et drôle, et des morceaux certes non conventionnels et ambitieux, mais toujours du bon côté du cœur. Entre ballades tourmentées soutenues par de sombres claviers (certaines en français…), envolées lyriques en solo et flashs électriques baroques (malgré des problèmes récurrents d'accordage de sa guitare), nous avons eu droit à un mini récital léger et paradoxalement intense, se terminant de manière sublime en solo sur une déclaration d'amour bouleversante à son fils. Bref, si le look vaguement glam de Shara Nova déconcerte par rapport à sa musique, ce fut ce soir pour moi une découverte majeure. Comme quoi il n'est jamais trop tard. Un nouvel album sort bientôt, je serai au rendez-vous.
21h45 : Deux batteries côte à côte sur scène, ça devient la mode (Oh Sees, King Gizzard...) et ça prouve que l'ami Ané a bel et bien décidé d'aborder ce soir, comme promis, sa musique par sa face la plus rock, la plus bruyante : ça fait plaisir ! Format quintette donc, avec le fidèle et très talentueux Thomas Poli aux claviers et à la guitare, le très démonstratif Jeff Hallam à la basse, et le feu roulant de percussions (ah oui, il y a aussi une petite batterie électronique pour compléter !) assuré par Etienne Bonhomme et Sacha Toorop…
Comme sur son dernier album, qui va servir d’épine dorsale au set, Dominique A attaque par Cycle : combinaison plutôt équilibrée entre électronique dark et éclats rock vaguement bruitiste, le morceau donne bien l’esprit qui va régner ce soir sur la Philharmonie. Le son est évidemment excellent, avec la voix sans doute un peu trop en avant quand même, et un niveau sonore qui aurait mérité d’être plus élevé. Une version tendue, lyrique, absolument magnifique de La Peau vient très rapidement faire monter la température de la salle, le public répond présent… Dominique prend acte, avec satisfaction : « Ah oui, là, on vous sent, quand même ! ». Je me prépare mentalement pour ce qui pourrait bien devenir le meilleur concert que j’aurai jamais vu du "grand chauve". Sur Les Deux Côtés d’une Ombre, l’une des chansons les plus singulières de "Toute Latitude", franchement sombre pour le coup, Dominique qui pour une fois est sans sa guitare, s’autorise à danser, frôlant la frénésie sur la fin de ce morceau très électro-dark : on le sent désormais libéré de toute cette timidité, ce trouble qui le clouait jadis au sol, ses bras et ses jambes partent dans tous les sens, la transe est proche. Plus tard, il nous demandera : « Ça vous plaît de vieillir ? ». A un spectateur qui lui répondra « Oui ! », il répondra : « Oui, en fait, moi aussi… ! ». Et il est indiscutable que la maturité a apporté chez Dominique A une force impressionnante, qui lui permet de véritablement imposer sur scène ses chansons, pourtant toujours empreintes d’une sensibilité bouleversante. Je remarque quand même que Dominique a du mal à reprendre son souffle à la fin de sa démonstration de danse ! Comme quoi, l’âge n’a pas que des avantages…
Va-t-en, sans doute ma chanson favorite de la première période de la carrière de Dominique A, nous est offert dans une version tendue, extrême, qui est évidemment enthousiasmante. C’est à ce moment que je perçois pour la première fois le décalage entre l’interprétation offerte par le groupe des "classiques" de Dominique A et l’attente du public, visiblement plus "chanson française". Et ce décalage va empêcher le concert de vraiment décoller à nouveau, comme ça aura été le cas sur la Peau… La preuve évidente de ce décalage, c’est qu’il faudra attendre la (très belle, certes) version de l’Océan pour que les applaudissements redeviennent vraiment intenses : la marque laissée par "Eléor" sur le public de Dominique A est logique, vu la qualité de l’album, mais je trouve que les fans ont du mal à passer à autre chose comme lui souhaite le faire.
Rendez-nous la lumière est le genre de titre fédérateur, classiquement rock et gentiment lyrique, qui permet quand même la réconciliation, mais l’écart s’agrandit à nouveau quand le Commerce de l’Eau ou Exit font à nouveau monter la pression. Corps de ferme à l’abandon donne un dernier tour de vis à l’inconfort, avec son texte terrifiant et son ambiance électronique grinçante. Eléor clôt le set après une heure et demi dans une mélancolie sublime : bon, j’avoue que moi aussi, j’ai le cœur qui se serre sur ce premier finale à haute charge émotionnelle.
Le premier appel est celui des cadeaux au public : d’un côté Au revoir mon amour pour la beauté classique, de l’autre le Twenty-Two Bar pour le clin d’œil au grand succès public manqué de peu, et au milieu Immortels pour l’intensité rock. On se quitte (mais on se doute bien que ce n’est pas définitif…) sur la désormais habituelle version électro-dance du Courage des Oiseaux.
Moi, j’attends patiemment le vrai rappel, la chanson de Dominique A que je préfère en live, le monstrueux le Convoi… qui déçoit visiblement la majorité des gens qui m’entourent, qui sont sans doute peu familiers avec ce morceau quasi kraut rock, avec son texte sublime, mi Sci-Fi, mi politique : on ne peut s’empêcher de penser à l’enfer que vivent les migrants quand Dominique A chante : « Ils s'échangent des signes comme des mots inconnus / D'un pays qui ne veut rien dire et dont l'histoire s'est perdue… ». Le son enfle, les deux guitares de Dominique et de Thomas cherchent le tourbillon sonique, nous sommes une petite poignée au premier rang à entrer enfin dans la transe recherchée… Mais le morceau s’arrête trop vite, sans atteindre le sublime qui s’annonçait pourtant. Une petite frustration donc, pour finir ce beau set de deux heures.
Dominique A confirme en 2018, après plus de vingt-cinq ans de carrière, qu’il reste ce qui se fait de mieux à la conjonction improbable de la chanson française et du rock noisy moderne. Même s’il n’a sans doute pas le public qu’il mérite (combien de mes copains fans de bruit apprécieraient ce genre de concert, mais n’y viennent pas ?), Dominique A continue obstinément son chemin, avec une conviction politique (écologique, sociale…) et une sûreté du geste artistique qui feraient pâlir bien des musiciens anglo-saxons plus fameux que lui.
« Maintenant tu les vois / Comme un fleuve naissant au grand jour / Et tu te glisses dans le convoi / Effrayé de mourir d'amour / Et tu te glisses dans le convoi / Dans le fleuve qui emporte tout / Une route s'ouvre devant toi / Qui se fermera derrière nous »
Les musiciens de My Brightest Diamond :
Shara Nova : voix, claviers, guitare
Earl Havin : batterie
Vincent Taurel : claviers
Les musiciens de Dominique A sur scène :
Dominique A : voix, guitare
Etienne Bonhomme : batterie
Jeff Hallam : basse
Thomas Poli : claviers, guitares, chœurs
Sacha Toorop : batterie, choeur
La setlist du concert de Dominique A :
Cycle (Toute Latitude – 2018)
La mort d'un oiseau (Toute Latitude – 2018)
Pour la peau (Auguri – 2001)
Les deux côtés d'une ombre (Toute Latitude – 2018)
Vers le bleu (Vers les lueurs – 2012)
Va-t-en (La Fossette – 1993)
Le Sens (La Musique – 2009)
Aujourd'hui n'existe plus (Toute Latitude – 2018)
Le Reflet (Toute Latitude – 2018)
Se décentrer (Toute Latitude – 2018)
L'océan (Éléor – 2015)
Toute Latitude (Toute Latitude – 2018)
Rendez-nous la lumière (Vers les lueurs – 2012)
Le commerce de l'eau (Auguri – 2001)
Lorsque nous vivions ensemble (Toute Latitude – 2018)
Exit (Remué – 1999)
Cap Farvel (Éléor – 2015)
Corps de ferme à l'abandon (Toute Latitude – 2018)
Le métier de faussaire (La mémoire Neuve – 1995)
Éléor (Éléor – 2015)
Encore:
Au revoir mon amour (Éléor – 2015)
Immortels (La Musique – 2009)
Le Twenty-Two Bar (La mémoire Neuve – 1995)
Le courage des oiseaux (Un disque sourd – 1991)
Encore 2:
Le convoi (Vers les lueurs – 2012)
Cette critique a déjà été publiée à l'époque du concert sur Benzine Mag