Blondie - Mercredi 28 Juin 2017 - Olympia (Paris)
« Bis Repetita Non Placent, disaient les Romains dans leur grande sagesse. Donc risque maximal ce soir, alors que je répète à peu près la même formule que la semaine dernière : un artiste que j'ai beaucoup aimé et que je n'ai jamais pu voir sur scène, l'Olympia en format places assises numérotées. Debbie Harry (plus Chris Stein et Clem Burke quand même), 72 ans, après Bryan Ferry. Néanmoins, un bon album sous la ceinture : "Pollinator" qui permet de ne pas décliner Blondie uniquement au passé. Petit problème, une place plutôt au fond de la salle, donc la nécessité de pouvoir sprinter le plus tôt possible vers la scène : je croise les doigts...
20h00 : les trois petits Français de Mustang attaquent un court set de 25 minutes par un instrumental de bon goût : sec, nerveux, en forme de citation respectueuse des Shadows... Je m'apprête à déguster encore une fois une bonne première partie quand, dès le second morceau, chanté en français, ça grippe méchamment : les textes s'avèrent pour le moins surprenants (« j'ai envie de me faire démonter par deux ou trois gitans » - de mémoire -, wtf ?) et le style bascule vers une sorte de variété yé-yé... une impression encore accentuée par la chanson suivante, vilainement et maladroitement funky. Le quatrième morceau me donne le sentiment d'être revenu à mon adolescence provinciale quand je m'enquillais des groupes de bal qui citaient maladroitement Bill Haley and the Comets. Bref, je lâche l'affaire, surpris par tant de mauvais goût. Le set de Mustang se terminera mal, dans une parodie de Rock et après d'autres paroles affligeantes (« je m'emmerde », « dans mon pantalon » ... n'en jetez plus !). Consternant.
20h45 : les fameuses 20 minutes d'entracte de l'Olympia sont encore une fois respectées et on se doute que l'on ne se couchera pas tard ce soir... Les six membres actuels de Blondie - avec donc deux "jeunes" et un "moins jeune", le bassiste Leigh Foxx qui est là depuis la reformation du groupe en 1997, pour soutenir Debbie, Chris et Clem - attaquent l'inoubliable One Way or Another : tout l'Olympia se lève d'un coup (il faut dire que, heureusement, la moyenne d’âge est bien moins élevée ce soir que la semaine dernière pour Bryan Ferry !). On a tenu moins de 20 secondes assis, et c'est parfait pour moi ! Je quitte mon siège sans regrets, et je me rue vers le premier rang... que je ne vais pas réussir à atteindre car la foule des fans s'est refermée devant moi. Je suis quand même à quatre ou cinq mètres de la scène, avec une vue parfaite sur Debbie, donc tout baigne pour profiter du set dans d'excellentes conditions.
On enchaîne avec le classique immortel ("Parallel Lines", cette merveille, encore…) qu’est Hanging on the Telephone, et j’ai repris un peu mes esprits après le stress du rush vers la scène, ce qui me permet de réaliser que… contrairement à ce que pourraient laisser penser les photos bien trafiquées du groupe, les années ont méchamment marqué la sublime Deborah Harry, qui fait clairement son âge, malgré les signes visibles de chirurgie sur son visage. Mais c’est plus encore Chris Stein qui fait peur, paraissant presque un vieillard chenu, en retrait avec sa guitare dont on a l’impression parfois qu’il ne fait pas grand-chose : il faut dire que, en plus de l’âge, le pauvre a souffert des attaques de la maladie orpheline qui l’accable depuis les eighties. Inversement, la machine infernale qu’est Clem Burke derrière ses fûts semble absolument inchangée, la puissance de son drumming reste exceptionnelle, propulsant le power pop des meilleures chansons du groupe.
Fun, premier extrait de "Pollinator", et ma foi une chanson plutôt correcte, me permet de réaliser que presque personne autour de moi n’a pris la peine d’écouter le dernier album du groupe, et que le public est bien donc plus dans la nostalgie que le groupe, qui alternera ce soir les classiques de la fin des années 70 et les morceaux du dernier album. Call Me souffle alors sur les braises de cette maudite nostalgie, mais on sent bien que la voix de Debbie n’a plus la puissance de jadis, et qu’elle a bien besoin du soutien de Tommy Kessler. Kessler, qui cumule avec beaucoup d’efficacité la guitare lead et les backing vocals, est le petit prodige un peu irritant, avec un jeu de guitare spectaculaire mais trop démonstratif, en décalage finalement avec l’esprit du groupe… Pourtant, les spectateurs apprécient clairement ses solos à rallonge ! Debbie a fini par enlever son bandeau assez kitsch avec deux abeilles géantes, et par quitter sa veste, dévoilant les formes opulentes d’une femme mûre. Mais bien sûr, on s’en moque, elle reste pour nous le fantôme intouchables de nos fantasmes d’autrefois.
In The Flesh, l’une des très belles chansons du début du groupe, ne semble pas non plus éveiller beaucoup de souvenirs autour de moi, et c’est bien dommage. Rapture, morceau historique de par son intégration d’un break hip hop dans sa structure rock, met enfin le feu à la salle, mais démontre paradoxalement que le groupe sur scène est loin d’être brillant : peut-être trahi par un son qui manque de clarté et de force, Blondie patauge lors des parties instrumentales – assez étendues, sans doute pour permettre à Deborah de reposer sa voix – et laisse maladroitement retomber la ferveur que les morceaux emblématiques provoquent. Debbie essaie de relancer le public en reprenant joyeusement le superbe Rainy Day Women de Dylan (« Everybody must get stoned ! »), mais en vain : on va dire que la culture générale du public parisien n’est pas très profonde ce soir… Et c’est enfin… Fragments, le sommet de "Pollinator", et le plus beau morceau de la soirée, à mon avis ! Debbie nous demande, nous supplie : « Do you love me now? », et nous crions tous en chœur : « Yes, we love you… ». Très, très chou, tout cela, « Everything Comes in Pieces » … Le morceau décolle à la verticale, même si on apprécierait encore une fois un groupe plus nerveux, plus sec, moins piétonnier… Quand même LE moment de magie de la soirée.
Long Time, remake réussi de Heart of Glass, fait le taff, mais Atomic est, logiquement, le parfait crowd pleaser du set. J’ai un peu les larmes aux yeux, je dois l’avouer, même si Debbie semble régulièrement à la peine pour chanter. Dommage que cette chanson nucléaire soit finalement gâchée par un long solo inutile de Kessler… Le problème est que, à partir de là, assez inexplicablement, le concert va peu à peu perdre son énergie, sa flamme, et devenir presque routinier. Debbie n’en peut sans doute plus physiquement et vocalement, et on sent que tout le monde sur scène, au bout d’à peine une heure, a envie que ça se termine. Heart of Glass, au lieu du couronnement espéré du set, sera un pénible naufrage dans l’ennui, avant que le groupe ne quitte la scène.
Le rappel commence bien, avec une évocation sympathique de la part de Debbie de leur jeunesse new-yorkaise, avant une reprise très honorable du You Can't Put Your Arms Around a Memory de Johnny Thunders… qui visiblement n’intéresse personne dans la salle (ou tout au moins autour de moi). Le concert touche le fond avec une version horriblement médiocre de Union City Blue, avant que l’interprétation très molle du pourtant excellent Too Much montre que le groupe n’a plus l’énergie de rien, désormais. On se quittera donc sur un Dreaming convenu et insipide, sur lequel Debbie ne chante quasiment même plus.
Il est dix heures et quart, et oui, on sera couchés tôt ce soir. Bis Repetita Non Placent, en effet… Bon, le plus important est que nos souvenirs n’aient pas été trop gâchés, quand même. Par contre, si Blondie fait encore illusion sur album, l’exercice de la scène n’est plus pertinent à cet âge-là quand on prétend encore jouer du power pop à haute énergie.
« Do you love me now? / My heart is made up of pieces / Do you get it yet? / Can't you see through this? / You know all too well / You cannot make things perfect… »
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Les musiciens de Blondie sur scène :
Debbie Harry – chant
Chris Stein – guitare
Clem Burke – batterie, percussions, chœurs
Leigh Foxx – basse
Matt Katz-Bohen – claviers
Tommy Kessler – guitare, vocaux
La setlist du concert de Blondie :
One Way or Another (Parallel Lines – 1978)
Hanging on the Telephone (The Nerves cover) (Parallel Lines – 1978)
Fun (Pollinator – 2017)
Call Me (Single – 1980)
My Monster (Pollinator – 2017)
In the Flesh (Blondie – 1976)
Rapture (Autoamerican – 1980)
Rainy Day Women #12 & 35 (Bob Dylan cover)
Fragments (an Unkindness cover) (Pollinator – 2017)
Long Time (Pollinator – 2017)
Atomic (Eat to the Beat – 1979)
Gravity (Pollinator – 2017)
Heart of Glass (Parallel Lines – 1978)
Encore:
You Can't Put Your Arms Around a Memory (Johnny Thunders cover)
Union City Blue (Eat to the Beat – 1979)
Too Much (Pollinator – 2017)
Dreaming (Eat to the Beat – 1979)
Ce compte-rendu a déjà été partiellement publié sur mon blog www.manitasdeplata.net