Savages - Mardi 1er Mars 2016 - la Cigale (Paris)
« "I adore life", tiens voilà la phrase de la soirée / de la semaine / du mois / de l'année. Mais une vie pleine de rock'n'roll bien sûr, vous savez ce vieux démon qui nous a possédé longtemps, qui semblait avoir été chassé. Mais qui resurgit comme ça, alors qu'on ne l'attendait plus. Savages, donc, ce soir à la Cigale : un groupe qui fait de mauvais disques (très mauvais même, prétendent certains) et donne d'excellents concerts. De superbes concerts. Des concerts de putain de rock'n'roll.
Mais avant les Sauvage(onne)s, on a droit à Yoko Ono qui a monté un groupe de hardcore psychédélique. Enfin c'est la formule racoleuse que j'ai trouvée pour expliquer "l'expérience Bo Ningen". Un groupe "space" qui fait de la musique "spéciale" m'a prévenu Robert, à côté de moi sur la balustrade de la Cigale avec son matériel de photographe. Alors, comment vous dire ? Ils viennent de Londres, sauf qu'ils sont japonais en fait. Et on dirait des filles, sauf que ce sont des garçons, en quelque sorte. Ils jouent chacun dans leur coin une partition dissonante, sauf que finalement le tout fait du sens, un sens tordu mais du sens. Ce genre de musique peut facilement casser les pieds, sauf qu'en fait non, ça excite plutôt l'imagination et puis aussi les jambes. On n'y comprend rien, alors on "headbangue". Pendant 30 secondes, ça sonne comme du Led Zep en pleine période de drogues dures, puis à Motorhead lors d’une crise d’aciiiiiiiid. Et puis à Yoko Ono bien sûr, cris aigus en japonais obligent. Au bout de 30 minutes, après une sidérante conclusion échevelée (très longs vraiment, les cheveux), la Cigale fait un triomphe à Bo Ningen. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis complètement d'accord.
Je n’aime pas les albums de Savages, trop froids, trop polis, trop artificiels : les chansons sont faibles, les références pullulent, les disques me laissent indifférent. A partir de ce soir, je ne critiquerai plus Savages, car je les ai vues sur scène : et ça dépote. C’est comme ce rêve que nous poursuivions à l’époque de Joy Division et de Siouxsie Sioux et des Stranglers : une fille féline, une voix de pythie, une basse grondante, une batterie qui défonce, une guitare qui déchire, tout le monde habillé en noir, uniquement des lumières blanches, une alternance de morceaux killers et d’incantations hallucinées. Voilà, tout est dit. Les chansons confirment leur faiblesse, le quatuor confirme sa grandeur. Sa classe folle. Sa puissance. L’exactitude parfaite de son image, sa musique, ses textes. Seul le public parisien, trop poli ou trop blasé, ne sera pas tout-à-fait à la hauteur ce soir, retardant le basculement vers l’hystérie qui se profilait pourtant dès l’intro. A la fin, les habitués du groupe diront, autour de moi : « C’était mieux à la Maro… ». Certes, et je n’en doute même pas : la Maro, salle bénie, a cet effet-là, de transcender les groupes et leur public. Pas la Cigale, salle confortable, jolie, où arrivent très peu de miracles : inexplicable. Mais indiscutable.
Savages, donc. Camille, pardon Jehnny, est jolie, sexy, mais on s’en fout un peu. Il y aura quand même un connard pour gueuler à un moment : « A poil ! ». Old habits die hard. Jehnny, ou Camille, chante bien, et finalement, qu’y peut-elle si sa voix évoque la grande Patti ou la sombre Siouxsie ? Il y a pire comme fantômes. Les autres filles sont jolies aussi, un peu moins, mais envoient des boulons. D’entrée de jeu, c’est à fond la caisse : « no quarter ! », comme on disait quand on était jeunes. On n’est pas dans le revival malgré les références à cette vieille culture post-punk morte et regrettée. On est dans l’urgence, donc dans le rock’n’roll. Parce que si ce soir on me demande la juste définition du rock’n’roll, je suis prêt à jurer que c’est ça : des filles habillées en noir qui font du bruit et jouent dans l’urgence. Des sauvages ? Non, car les trois Anglaises et la Française sont clairement "bien élevées". On peut le leur reprocher, mais ce serait de la pure mauvaise foi. Qui a écrit les tables de loi ordonnant que le rock’n’roll devait être mal éduqué ? Fuck it !
Savages jouent leur second album, "Adore Life" dans sa quasi intégralité, et une bonne partie du premier pour faire bonne mesure : le concert durera plus d’une heure et quart, ce qui est a priori long pour le groupe. Il n’y aura pas de rappel : c’est le rituel avec Savages, et c’est la classe, ça, pas de rappel. Remember The Wedding Present ? Il y a des règles avec Savages, des règles rock’n’roll (ça existe) : pas de rappel, pas de putain de téléphones portables au premier rang dans la gueule de Jehnny Beth. Et puis, il faut que la fosse la porte à bout de bras, mais avec respect, quand elle va chanter au milieu de ses adore-ateurs et –atrices. C’est tout. C’est bien : ladies and gentlemen, nous sommes dans un concert de rock’n’roll.
Vous allez me demander : et alors, les meilleurs moments de la soirée ? Bien sûr, bien sûr ! Les morceaux qui cognent le plus, of course : Shut Up, Husbands, The Answer, TIWYG (grand !). Et puis les cris de Jehnny sur Evil. Et sur I Need Something New. Le mosh pit en furie, finalement, au bout de trois quart d’heures (« ça en a pris du temps, les gars et les filles ! A mon époque, on avait la mèche bien plus courte… » « Tais-toi, pépé ! »). Mais la grande, la belle surprise, c’est Adore : d’un seul coup, Jehnny Beth s’est laissée entraîner, elle bascule dans l’émotion. « I Adore Life » : comme une certitude, pas comme une putain de prière. Take what you need ! Il me semble qu’elle a des larmes dans les yeux. Et dans le public, nombreux doivent avoir la gorge serrée. Moi en tout cas, j’ai ET les larmes aux yeux ET la gorge serrée. Je ne peux pas m’empêcher de penser au Bataclan le 13 novembre. I Adore Life, motherfuckers ! Voilà, c’est LE MOMENT : celui qui rend une soirée mémorable. Inoubliable peut-être. Les sauvages adorent la vie.
Il faut quand même se quitter. Le mieux est d’essayer de se quitter en faisant le plus de bruit possible. Les quatre japonais de Bo Ningen rejoignent Savages. Il y a donc trois guitares, deux basses et deux batteries. Le morceau s’appelle Fuckers, oui. Personnellement, j’aurais aimé que le son soit plus fort, genre My Bloody Valentine, tu vois. Mais ça, c’est moi : never satisfied ! C’est drôle : sur scène, les filles ont les cheveux courts et ressemblent à des garçons, et les garçons ont des cheveux (très) longs et ressemblent à des filles. Prends-toi ça dans les dents, Christine Boutin ! En fait j’aurais aimé que ça dure une heure, juste ce morceau : du bruit, du motherfuckin’ noise. C’est exactement pour ça que j’aime le putain de ROCK’N’ROLL.
Et que J’ADORE LA VIE. »
Les musiciens de Savages sur scène :
Jehnny Beth (vocals) – real name Camille Berthomier
Gemma Thompson (guitar)
Ayse Hassan (bass
Fay Milton (drums)
La setlist du concert de Savages :
Sad Person (Adore Life – 2016)
City's Full (Silence Yourself -2013)
Slowing Down the World (Adore Life – 2016)
Shut Up (Silence Yourself -2013)
She Will (Silence Yourself -2013)
Husbands (Silence Yourself -2013)
Surrender (Adore Life – 2016)
Evil (Adore Life – 2016)
When In Love (Adore Life – 2016)
I Need Something New (Adore Life – 2016)
The Answer (Adore Life – 2016)
Hit Me (Silence Yourself -2013)
No Face (Silence Yourself -2013)
T.I.W.Y.G. (Adore Life – 2016)
Mechanics (Adore Life – 2016)
Adore (Adore Life – 2016)
Fuckers (with Bo Ningen) (Single – 2014)
Chronique déjà partiellement publiée sur mon blog manitasdeplata.net