Tindersticks - Mercredi 21 Mars 2012 - Teatro Lara (Madrid)
« Le théâtre Lara, c'est sympa et plutôt "facile" par rapport à votre salle de concerts habituelle : le genre d’écrin précieux et désuet comme nombre de petits théâtres baroques européens, une bonne acoustique, et des sièges numérotés et confortables, trop peut-être si la musique invite à piquer un roupillon... C'est l'endroit parfait pour un concert de Tindersticks "formule actuelle" - qui n'a plus grand chose à voir avec le groupe à la sombre incandescence des années 90 : Tindersticks joue désormais une musique apaisée, doucement mélancolique, à la fois humble dans la manière dont elle investit lentement la tête et le cœur, et légère à force de ne pas (plus ?) vouloir souligner les sensations qu'elle illustre (sans doute la pratique répétée de la composition de musiques de films ?). En fait, j'ai attendu pendant 1h35 (une heure cinq minutes de set, deux longs rappels...) que Stuart Staples évoque, même de manière nostalgique, les lugubres spectres du passé : en vain... Tindersticks arpentant obstinément, quasiment sans un regard en arrière, de nouveaux chemins, certainement plus ensoleillés. Mais revenons un peu en arrière...
Il semble que l'idée d'organiser des concerts à 22h30 dans un théâtre après la clôture de l'activité "normale" ne soit toujours pas très au point : résultat, une demi-heure d'attente dans un hall surpeuplé (le concert est sold out), une bière gratuite à la main, et au final 40 minutes de retard au démarrage pour le concert. Inés me fait la remarque que le public est du genre trentenaires "bobos-clodos", avec un look intello crado pas très sympa : ce n'est pas faux, et c'est certainement injuste pour Tindersticks qui n'est certainement pas un groupe branché méritant un public sectaire et prétentieux... Faux départ un peu embarrassant quand le groupe n'apparaît pas sur scène après la musique d'intro ! Puis les 6 musiciens entrent tranquillement sur scène bien remplie de matériel (2 claviers, une batterie, un xylophone, des cuivres) : on est forcément un peu choqué de découvrir Stuart Staples, ex-dandy un peu décavé, en gentleman farmer équipé de grosse moustache rouflaquettes, bedonnant et placide... La vie en France l'a clairement "calmé" (la bonne bouffe ?) et on comprend bien comment sa musique a pu évoluer vers cette nouvelle sérénité. La preuve, Blood en ouverture, très loin de la tension magnifique du premier album (de 1993, quand même !) est tout doux et sucré, et Tindersticks nous enveloppe immédiatement dans un cocon de musique soyeuse. A mes côtés, Inés pique rapidement du nez, et se met à somnoler confortablement dans cette ambiance sensuelle ! La voix de Stuart Staples reste magnifique d'émotion tremblante, même dans ce registre "tranquille" qui est désormais le sien. Par rapport à Stuart, Neil Fraser qui semble bien moins marqué par les années qui ont passé, et a une indéniable autorité sur scène, a gardé un jeu de guitare superbe, tout en retenue et en subtilité. If You’re Looking for a Way Out continue dans le registre de Blood, et on sent un petit flottement dans le public qui, comme moi, attendait certainement plus de "malaise" de la part de Tindersticks. On s'installe donc dans cette petite déception... Jusqu'à Chocolate, le monologue velvetien ("johncalien" ?) de David Boulder, avec ses cuivres grinçants qui réveillent le set. Viennent ensuite, comme sur le nouvel album, Show Me Everything, le plus beau moment de la soirée qui verra Stuart Staples élever enfin la voix et vibrer physiquement d'émotion, et This Fire of Autumn, plus enlevé et swinguant, charmeur et élégant. Là, on est touchés, impossible de le nier : si Tindersticks n'est plus l'impressionnant OVNI des années 90, le groupe montre qu'il en a encore sous la pédale !
Malheureusement, le set ne va pas capitaliser sur cet enchainement enchanté, et la tension va un peu retomber, même si l'enthousiasme du public reste tangible. Le set s'interrompt abruptement au bout de 65 minutes, mais les deux rappels seront très beaux, sans pour autant satisfaire notre soif de retrouver la magie des deux premiers albums, inoubliables, du groupe : je crois reconnaître Cherry Blossoms, mais je ne suis pas très sûr avec la « réinterprétation » à laquelle se livre Tindersticks… et de toute façon, pas de Tiny Tears, qui est pour moi le chef d’œuvre absolu du groupe…
On sort donc du Teatro Lara dans une sorte de brume bienheureuse, mais quand même bien déçus par l'évolution de Tindersticks vers le "confort". La vieille critique des détracteurs du groupe - quelle musique sinistre et angoissante ! - n'est certes plus à l'ordre du jour, mais on sera nombreux à le regretter ! »
Les musiciens de Tindersticks sur scène :
David Boulter – piano and organ
Neil Fraser – electric and acoustic guitars
Earl Harvin – drums and percussion
Dan McKinna – bass
Stuart A. Staples – vocals