Godspeed You! Black Emperor - Dimanche 30 Janvier 2011 - La Riviera (Madrid)
« Quand à 20 h 28, un type monte sur la scène de la Riviera déjà bien remplie, et s'empare d'un énorme instrument à vent, qui ressemble à un saxophone géant (je suis incapable de vous dire ce que c'est exactement, mais bon, vous voyez le genre : un saxo basse ?) pour en tirer un son littéralement titanesque, on ne sait pas trop, Juan Carlos et moi, de quoi il s'agit : un musicien de Godspeed qui introduit le set du groupe d'une nouvelle manière ou bien une "première partie" non prévue ? Après une petite dizaine de minutes impressionnantes, pendant laquelle notre homme souffle comme un forcené dans son instrument, assurant à la fois une étonnante rythmique et de déchirants et ténébreux vagissements, on a notre réponse : Colin Stetson se présente comme un invité du groupe, qui vient de sortir un CD, à vendre au stand de merchandising (j'apprendrai plus tard qu'il a fait partie de la section de cuivres d'Arcade Fire !). En tous cas, pendant 25 minutes, il alternera
entre passages "free" au saxo (de taille normale) et sonorités plus "heavy", au total une musique peu engageante il est vrai, qui tient plus de la performance (artistique et physique) que de la musique "traditionnelle", mais qui a le mérite immense de n'avoir jamais été entendue... Le public est extrêmement "supportif", Colin est ravi, et au final, tout cela est assez intéressant pour que le temps passe vite. Je dis à Juan Carlos qu'il s'agit là d'un musicien étonnant qui gagnerait à intégrer ses idées dans une structure plus traditionnelle... D'ailleurs il semble que sur le CD, il y ait des parties vocales assurées par des invités, Laurie Anderson en particulier...
Bon, reprenons au début : pourquoi sommes nous là, Juan Carlos et moi à la Riviera - au milieu d'un public nombreux et fervent (le concert était initialement programmé à la Joy Eslava, mais a été déplacé ici du fait du succès de billetterie...) - attendant un groupe culte dont nous ne connaissons ni l'un ni l'autre la moindre note de musique ? Un mois de janvier particulièrement stérile musicalement, des critiques louangeuses de Gilles B et de Robert suite au concert de Paris, un intérêt tardif pour un groupe que j'ai le sentiment d'avoir totalement manqué à l'époque où il marquait les esprits avec son post-rock intransigeant et novateur... Un peu de tout cela à la fois sans doute...
Depuis que Colin a arrêté de jouer, il flotte dans l'air un vague larsen, un bourdonnement à peine identifiable qui sort des amplis du groupe, curieusement disposés en demi-cercle : le concert de Godspeed You! Black Emperor a en fait déjà commencé, et le bourdonnement enfle lentement, s'enrichit de fréquences nouvelles quand les musiciens entrent sur scène un par un, sans un mot, s'affairant à leurs pédales d'effets pendant de longues minutes, pour ce qui paraît être des réglages de dernière minutes et qui est en fait la construction de ce premier morceau. La scène est éclairée de manière uniforme - et assez basse, bonjour les photos ! -, alors que démarre sur l'écran en fond de scène la projection de boucles de films vidéos : c'est d'abord le mot "Hope" qui tressaute sous nos yeux ! Les 8 musiciens de GYBE sont maintenant à l'œuvre (on parle quand même de 3 guitaristes (assis tous les 3, une fois le "réglage" des pédales effectué...), 2 bassistes, 2 batteurs, et une violoniste, Sophie Trudeau, qui s'avérera la plus euh... communicative de la bande, c'est-à-dire qu'elle jettera quelques regards vers la foule ! Le son a pris une amplitude à proprement parler jouissive, et la rythmique puissante porte les stridences des guitares et du violon vers une sorte d'ascension sonore au sein de laquelle il ne nous reste plus qu'à nous laisser porter, emporter plutôt. Ce premier morceau, long d'une trentaine de minutes, et construit donc comme une montée continue vers une violence libératoire qui n'arrivera jamais, la musique s'arrêtant ou bien se délitant avant que l'orgasme ait lieu, constituera le modèle, la matrice de l'ensemble du set, de 2 h 30 quand même.
Juan Carlos et moi sommes parfaitement placés au premier rang près du centre, à quelques mètres de l'un des trois guitaristes opérant à la construction de la cathédrale sonique de GYBE, mais qui dissimule malheureusement à nos yeux l'un des musiciens les plus emblématiques du groupe, Efrim Menuck, barbu au look étonnant, oscillant entre le yiddish et le hippie, qui officie à la seconde guitare : tous deux maltraitent consciencieusement et très, très calmement leurs instruments à l'aide par exemple de ce qui ressemble à une lime ou à un tournevis, pour en tirer les sons voulus. En face de nous, devant la batterie centrale, Mauro Pezzente, le bassiste le plus extraverti, qui semble presque s'amuser quand il est assis par terre durant les longues introductions de chaque thème, en attendant que cela soit son tour de jouer et de propulser la musique vers les sommets. Les deux batteurs sont eux dissimulés derrière leurs kits, le second bassiste est plus effacé, et reste à l'opposé du "demi-cercle" par rapport où nous sommes placés, David Bryant, le troisième guitariste - au look austère - responsable lui de la construction des mélodies (enfin, des fragments élémentaires de mélodies) sur lesquels le maelstrom va se développer. Je l'ai déjà dit, les amplis forment donc une sorte de barrière circulaire, construisant un espace assez réduit (malgré ses 8 musiciens, GYBE n'occupe guère plus de la moitié de la grande scène de la Riviera) au centre duquel sont curieusement placés d'imposants retours, orientés vers les musiciens qui se font donc face les uns aux autres, et non au public : d'ailleurs personne n'adressera de la soirée un seul mot à ce public pourtant fervent (en fait, Juan Carlos me fera remarquer que, à aucun moment les musiciens ne s'adresseront même la parole entre eux pendant 2h30 : troublant quand même, non ?).
Le concert a maintenant entamé sa longue course à une vitesse de croisière modérée, avec une succession de morceaux oscillants entre 15 et 30 minutes, sur un schéma répétitif que l'on peut choisir de trouver ennuyeux ou fascinant, à sa guise. Derrière nous, les videurs ont évacué un type camé jusqu'aux yeux qui commençait à s'effondrer sur tout le monde, mais je suppose que, même si ce n'est pas mon truc, cette musique s'écoute sans doute bien quand on est "sous influence" : l'interdiction totale de fumer à l'œuvre depuis un mois (une véritable bénédiction après un an et demi de souffrances pour moi) nous prive sans doute d'impressionnantes volutes hallucinatoires ! Et la musique de GYBE, me demanderons sans doute ceux d'entre vous peu familiers avec le concept abstrait de post rock ? Eh bien, on peut imaginer une sorte de mélange entre le Cure de "17 seconds" ou de "Faith" sans la voix de Robert Smith (pas de voix du tout d'ailleurs, la musique de GYBE étant 100% instrumentale...), le Pink Floyd conceptuel de "Ummaguma" (Careful with that axe, Eugene... LOL) et les différentes tentatives bruitistes des années 90 (My Bloody Valentine sans la pop psychédélique...?), mais un mélange qui réfute la douceur de la mélodie comme la libération orgasmique de la violence, c'est-à-dire les deux mamelles aux quelles le rock se nourrit depuis toujours... Il faut donc admettre que cette austérité générale, soulignée par les vidéos grisâtres et mornes qui défilent derrière, illustrant des prises de positions politiquement claires (l'oppression, l'horreur industrielle, la pollution, etc.) oblige l'auditoire à une concentration inhabituelle dans un concert de rock... mais à laquelle tout le monde autour de moi semble s'efforcer de bon gré : il règne dans la salle un calme et un silence impressionnant alors que le déluge sonore nous submerge en vagues successives (pas tout-à-fait assez fort à mon goût, quand même, on a connu la son de la Riviera plus radical !)...
Au bout d'une heure et demi, GYBE passe la surmultipliée, en enchaînant des morceaux nettement plus radicaux (je n'ai aucune idée des titres, d'ailleurs il n'y a pas de setlist sur la scène...), dont un magnifique alors que les vidéos - pour une fois en couleurs - illustrent d'impressionnants incendies industriels. L'excitation monte, le plaisir naît, et une heure plus tard, le concert se conclut dans un déluge de larsens digne des finales de My Bloody, mais là encore à un niveau sonore curieusement insuffisant...
Voilà, il est 23 h 35, Juan Carlos et moi sortons dans la nuit glaciale avec les oreilles qui sifflent (quand même...) et la sensation rassérénante d'avoir participé à une expérience radicale, différente, en tout cas intellectuellement stimulante. Juan Carlos, qui n'était pas très en forme quand il est arrivé ce soir, repart plein d'énergie positive ! Y aurait-il un "effet GYBE" ? »
La setlist du concert de Godspeed You ! Black Emperor :
Hope Drone (new song)
Mladic (new song)
Monheim (Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven - 2000)
Gathering Storm (Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven - 2000)
09-15-00 Outro (Yanqui U.X.O. – 2002)
Chart #3 (Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven - 2000)
World Police and Friendly Fire (Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven - 2000)
Rockets Fall on Rocket Falls (Yanqui U.X.O. – 2002)
Moya (Slow Riot for New Zerø Kanada EP – 1999)
BBF3 (Slow Riot for New Zerø Kanada EP – 1999)