Massive Attack - Vendredi 8 Octobre 2010 - Palacio Vistalegre (Madrid)
« Si Massive Attack est loin d'être l'une de mes formations musicales préférées - peut-on parler de groupe au sens classique du terme ? Il ne me semble pas -, mais il est indéniable que les deux disques que je considère personnellement comme leurs chefs d'œuvre, "Blue Lines" et "Mezzanine" ont sonné chacun à leur tour comme la B.O. de l'année de leur parution, constituant à chaque fois l'illustration sonore parfaite du chaos politico-social environnant. Alors, il m'a suffit que "Heligoland", leur dernier album, soit plutôt réussi, et qu'octobre soit pour moi un mois de concerts désespérément vide - après la défection impromptue cette semaine de Placebo -, pour que je me retrouve ce vendredi soir plutôt doux au milieu d'une longue queue devant le Palacio Vistalegre, prêt "psychologiquement" pour ma première rencontre avec les précurseurs du trip hop, il y a tant d'années (qui se souvient encore de la Guerre du Golfe et de la paranoïa environnante ?)...
Malgré mon arrivée tardive et ma mauvaise place dans la queue, j'arrive sans problème, en dépassant au sprint les fans déjà bien embrumés de la « planerie massivement attaquée », à gagner le premier rang, à peine décalé sur la gauche : bon plan, ce soir, pas de doutes... Le Palacio, soit l'équivalent madrilène du Zénith de Paris est en configuration réduite, les 2/3 des gradins fermés au public, signe que Massive Attack n'est quand même pas un grand groupe populaire en Espagne.
20h33 : un peu de retard sur l'horaire, mais Martina Topley Bird impressionne dans sa tenue de carnaval vénitien. "Una negra", s'exclame en ricanant un beauf derrière moi. No comment... Martina est seule sur scène avec sa "loop station" grâce à laquelle est crée les boucles vocales sur lesquelles elle pose sa voix - superbe - pour construire ses chansons. C'est techniquement intéressant, et on frôle parfois le tour de force, dans cet empilement de sons qui donnent naissance à la musique de Martina... sauf qu'il manque quelque chose - et dramatiquement - pour que tout cela soit vraiment passionnant : de vraies chansons ? Ou simplement de l'inspiration ? Alors, même si la belle est fort sympathique, s'efforçant à communiquer avec la foule en espagnol, et s’il y a une belle variété de rythmes et d'ambiance, les 40 minutes qui suivent sont longues, longues. A noter quand même un dernier morceau plus tendu, guitare électrique bruitiste à l'appui, qui pourrait évoquer une PJ Harvey en plus éthérée.
21h31 : après un drôle de faux départ, la scène obscure et enfumée est envahie par la troupe de Massive Attack : six musiciens, en comptant 3D au centre, dont deux batteurs (une batterie électronique, une batterie acoustique), un bassiste qui groove et un guitariste qui cisaille et est responsable des passages les plus rock / cold wave de la musique de 3D… je suis tout de suite rassuré, on n’aura pas affaire à de la musique « en conserve », sur bandes, mais bien à un vrai set « live ». Et le groupe attaque fort, très fort, avec un premier morceau très dark, et au milieu, une montée en puissance qui met le public
à genoux. Ouaouh ! La claque… Cela ne fait que trois ou quatre minutes que le concert a commencé, et on a déjà eu l’un de ces grands frissons qui sont la marque des grandes soirées. Derrière le groupe, ultra-concentré du fait de la haute technicité en œuvre ce soir, des mots lumineux se mettent à palpiter sur le tableau géant, débitant des noms de drogues et de médicaments. Pas d’erreur, l’atmosphère sera sombre, sinistre même (… mais jamais froide… !), et je retrouve avec satisfaction la dureté opiniâtre qui m’avait fait aimer « Mezzanine » il y a plus de dix ans. Vocalement, outre le flow cassé de 3D – pas un grand vocaliste, mais un chanteur intense -, se relaieront Martina Topley Bird (bien plus convaincante que dans son registre solo), l’étonnant Horace Andy avec sa voix si particulière, Daddy G (finalement assez peu présent désormais, on sent bien que Massive Attack est globalement le groupe de 3D…), et une belle grosse chanteuse soul à la voix parfaite, Deborah Miller, à qui reviendra la charge d’animer les reprises (plus consensuelles) de « Blue Lines », Safe From Harm et Unfinished Sympathy. Le son est absolument parfait, à la fois fort et très précis, les lumières réduites mais bien conçues, et le fameux mur joue un rôle clé, tant y circulent en permanence des mots, des phrases (citations célèbres sur la démocratie, mises en perspective par des phrases de dictateurs et de bourreaux sur Safe For Harm par exemple), des chiffres (…militants dénonçant les méfaits des guerre, de la course capitaliste ou du simple égoïsme humain), voire des images (logos de multinationales impliquées dans des crimes politiques, écologiques ou autres…). Même quand on parcourt des morceaux moins prenants, difficile de ne pas être fascinés par l’utilisation intelligente et politisée de la technologie, dans ce set qui, finalement, ne ressemble à rien d’autre… Alors que le public madrilène, tour à tour tétanisé et enchanté, est parcouru par des vagues de bonheur ou d’enthousiasme, Massive Attack enchaîne les morceaux, alternant entre atmosphère intime et sophistiquée – mais toujours implacable – et grandes déchirures électriques. Arrivent le très bel Angel de « Mezzanine », puis une version étirée et sublime de Safe From Harm, et mon bonheur est total : je ne m’attendais certes pas à une telle claque, et, malgré l’évident perfectionnisme technique à l’œuvre sur scène, cette musique-concept est tellement puissante qu’il me semble impossible de ne pas être séduit, ou au moins impressionné. Deux rappels plus tard, après une nouvelle montée en tension – une transe électrique qui dure, qui dure, dont on se lasse pas (d’ailleurs 3D se déchaîne, laissant ses musiciens assurer la tuerie) -, et avec un final plus détendu (presque souriant) sur l’élastique
Karmacoma, près d’une heure cinquante se sont écoulées sans qu’on ait rien vu passer, et les musiciens de Massive Attack quittent la scène, visiblement ravis par l’accueil enthousiaste rencontré à Madrid. Même s’il n’y a pas de set list à récupérer (technologie oblige…), je musarde un bon moment dans la salle, et d’ailleurs je me rends compte que bon nombre de gens font de même : nulle ruée vers la rue, tout le monde semble encore plongé dans la transe créée par Massive Attack…
Alors que je m’engage dans un long tunnel de plusieurs semaines sans concerts, je me dis que, oui, j’ai bien fait de passer outre mes préjugés (Massive Attack, ça doit être chiant sur scène) pour découvrir ce soir, et très tardivement je l’avoue, un grand groupe de rock électro très dur, créateur d’ambiances obsédantes, et à l’engagement politique judicieux et sans faille. Oui, un vrai grand groupe de rock ! »
La setlist du concert de Massive Attack :
United Snakes (Heligoland – 2010)
Babel (Heligoland – 2010)
Risingson (Mezzanine – 1998)
Girl I Love You (Heligoland – 2010)
Psyche (Heligoland – 2010)
Future Proof (100th Window – 2003)
Invade Me
Mezzanine (Mezzanine – 1998)
Teardrop (Mezzanine – 1998)
Angel (Mezzanine – 1998)
Inertia Creeps (Mezzanine – 1998)
Safe From Harm (Blue Lines – 1991)
Encore:
You Were Just Leaving
Splitting the Atom (Heligoland – 2010)
Unfinished Sympathy (Blue Lines – 1991)
Atlas Air (Heligoland – 2010)
Encore 2:
Karmacoma (Protection – 1994)