eels - Samedi 18 Septembre 2010 - La Riviera (Madrid)
« On va toujours plus ou moins, après tant d’années de fréquentation des salles de concert, voir un artiste pour être surpris (si le mot « surprise » revient avec une régularité métronomique dans les compte-rendu de mon ami Gilles B., ce n’est pas pour rien…) : pour voir et entendre quelque chose de différent, d’inattendu, par rapport à l’image et aux sensations que l’écoute des disques a pu faire naître en soi. Alors, si l’on mesure la qualité d’une soirée à l’intensité ou à la variété des surprises, ce « retour aux affaires », ce démarrage d’une nouvelle saison de concerts à Madrid a été une franche réussite…
A 20 h 15, alors que la belle et grande salle de La Riviera est encore quasi-vide, comme à l’accoutumée, ce n’est ni plus ni moins qu’un ventriloque qui monte sur scène, pour nous divertir (… enfin, moi un peu moins, vu que mon niveau d’espagnol ne me permet encore que de comprendre une blague sur cinq !) avec deux poupées différentes. De près comme je suis, je ne peux pas m’empêcher de voir les lèvres du ventriloque bouger nettement lorsque « la marionnette parle », mais ce côté « pas trop pro » du spectacle ajoute un esprit bon enfant assez agréable. Heureusement, ça ne dure pas trop longtemps, et ça a eu quelque chose d’un peu surréaliste, assez différent de ce qu’on pouvait attendre. Je me demande si c’est Mark Everett qui est responsable de cette curieuse introduction, ou si cela va faire partie de la politique de programmation dans le futur, d’inviter des ventriloques chauves et bedonnants… Alors pour la prochaine fois, je suggère une femme tronc ou un avaleur de sabres…
A 20 h 30, c’est au tour d’une jeune femme armée d’une guitare sèche de faire son apparition. Dissimulée derrière une fausse barbe – en hommage au « look » improbable de notre ami Mark -, je reconnais Alondra Bentley, que j’avais déjà vue – et relativement appréciée – en première partie de Richard Hawley voici plus de 6 mois. Sa musique, un folk minimaliste mais aux mélodies franchement pop par instants, n’a pas changée, et on déguste toujours – à petites doses, quand même – cette sensation de fragilité et d’émotion qui sont la marque de ce genre de musique lorsqu’elle fonctionne. Ce n’est pas Alela Diane quand même, mais c’est agréable pendant 35 minutes… sauf qu’une grande partie des spectateurs en ont tellement visiblement rien à faire que le brouhaha des conversations s’intensifie au point de couvrir la sono. Très désagréable quand même ce maque de respect du public envers les premières parties, qui est malheureusement général, que ce soit ici à Madrid ou à Paris… La surprise du set, en l’occurrence, c’est la combattivité humoristique d’Alondra, qui se rend compte de ce qui se passe, et vanne le public d’une manière joliment pertinente, sans arriver jusqu’à la provocation, mais en restant bien claire sur son déplaisir. Au final, Alondra sort la tête haute de ce bras de fer inégal.
21 h 30, à l’heure pile, la scène s’obscurcit, mais on a encore droit à 5 bonnes minutes de ce qui me semble être la Bande Son d’une comédie musicale hollywoodienne classique (mais je peux me tromper), ce qui est un peu long avant que Mark Everett (c'est-à-dire eels) monte sur scène, avec sa guitare électrique vert clair. Combinaison blanche, plus grand que je me l’imaginais, Mark est entièrement dissimulé derrière sa barbe fournie, ses lunettes noires et son bandana : un look original, amusant, tant qu’on le voudra, mais qui ne facilite pas le passage des émotions entre l’artiste et son public. En quasi solo (il y a une pedal steel ou un orgue qui l’accompagne pour construire l’ambiance) sur les trois premières chansons, je me rends compte que c’est quand même assez barbant (LOL), même si la voix est parfaite, bourrue, émouvante, juste. Je m’inquiète un peu.. à tort, car dès le quatrième morceau, tout change pour de bon, avec l’entrée du groupe au complet sur scène : imaginez un quatuor (deux guitares, une basse et une batterie) au look soigné, entre Grinderman et Z Top ! Tout le monde chez eels doit donc porter la barbe, les lunettes noires, et un couvre-chef ! Pourquoi pas ? Comme les lumières sont belles, les musiciens très actifs, la partie « spectacle » de la soirée va être assurée sans problème. Mais le plus surprenant, c’est le traitement « heavy-blues-rock » de la quasi-totalité des titres interprétés ce soir, des titres dont on reconnaît bien sûr la mélodies et les paroles, mais qui sont fondamentalement transformés par l’énergie un peu grossière, mais jouissive, dont ils sont chargés. Bref, eels sur scène n’a quasiment rien à voir avec eels sur disque, et en particulier avec le eels de « Tomorrow Morning » à l’électronique bricolée et sensible ! Par moment, avec l’aide du son comme souvent puissant de la Riviera, eels sonne presque « bourrin », et – look oblige – je me dis que les chansons de Mark Everett, quitte à être aussi rudement traitées, mériteraient la grandeur fracassée de Bad Seeds / Grinderman plutôt que ce blues rock un peu scolaire. Mais bon, sur le coup, il n’y a pas à ce plaindre, on est, contre toute attente, à un bon gros concert de rock qui tache – avec quand même pas mal de second degré (voir l’introduction fantaisiste des musiciens sur la fin, qui permet à Mark de se lâcher un peu !), et tout le monde se tortille avec satisfaction sur des rythmes blues, heavy, voire funky par moments (pas le meilleur, mais bon !). Je ne connais pas l’intégralité de la discographie de eels, ce qui fait qu’une partie des titres joués m’échappe, alors je ne citerai que quelques chansons qui ont bien « fonctionné » pour moi : une belle reprise orageuse du Summer In The City de Lovin' Spoonful, un des rares moments d’émotion pop lors de l’interprétation de Spectacular Girl, le
magnifique et terrifiant Paradise Blues et sa chronique des pensées d’un suicide bomber de notre temps, un Looking Up efficace en final pour « mettre le feu » à la salle… mais surtout, sommet pour moi du set, un Fresh Blood sanglant, traversé de flashes de lumière blanche, seul véritable passage où le groupe a atteint l’intensité électrique que Mark semble désormais chercher… Car objectivement, ce beau concert, plein de vraies surprises, s’est révélé juste un petit peu « en dessous » de son « potentiel », et l’émotion ne s’est jamais complètement cristallisée – ce qui est un comble quand on connaît l’émotion que les albums de eels dégage ! 1 h 30, deux rappels, dont pour finir, une version lourde, énervée et bâclée de I Like The Way This Is Going, loin, bien loin de la magie de l’original, et je me demande au final ce qui empêche le set de complètement fonctionner : sans doute est-ce l’attitude de Mark lui-même, qui reste, derrière la barrière de la barbe, des lunettes, du couvre-chef, un homme foncièrement sur ses gardes, pas vraiment généreux vis-à-vis de son public. Un grand timide ? Un vrai ours mal léché ?
En tous cas, la saison 2010-2011 a bien commencé, et je me sens bien préparé physiquement (épuisé… !) et mentalement (excité… !) pour le set des New Pornographers, demain à la Joy Eslava... »
Les musiciens de eels sur scène :
Mark Oliver Everett, voice and guitar
Rusty Loggsdon "Koool G Murder", bass
Chet Lyster "The Chet", guitar and pedal steel guitar
"P-Boo", guitar
Derek Brown "Knuckles", drums
La setlist du concert de eels :
Grace Kelly Blues (Daisies of the Galaxy – 2000)
3 Speed (Electro-shock Blues – 1998)
End Times (End Times – 2010)
Prizefighter (Hombre Lobo – 2009)
She Said Yeah (The Rolling Stones cover)
Gone Man (End Times – 2010)
Summer in the City (The Lovin’ Spoonful cover)
Tremendous Dynamite (Hombre Lobo – 2009)
In My Dreams (Hombre Lobo – 2009)
In My Younger Days (End Times – 2010)
Paradise Blues (End Times – 2010)
Jungle Telegraph (Souljacker – 2001)
My Beloved Monster (Beautiful Freak – 1996)
Spectacular Girl (Tomorrow Morning – 2010)
Fresh Blood (Hombre Lobo – 2009)
Dog Faced Boy (Souljacker – 2001)
That Look You Give That Guy (Hombre Lobo – 2009)
Souljacker, Part I (Souljacker – 2001)
Talkin' 'bout Knuckles
Mr. E's Beautiful Blues (Daisies of the Galaxy – 2000)
I Like Birds (Daisies of the Galaxy – 2000)
Summertime (George Gershwin cover)
Looking Up (Tomorrow Morning – 2010)
Encore:
I'm Going to Stop Pretending That I Didn't Break Your Heart (Blinking Lights and Other Revelations – 2005)
Encore 2:
I Like the Way This Is Going (Tomorrow Morning – 2010)