Richmond Fontaine - Mardi 27 Octobre 2009 - Sala El Sol (Madrid)
« Pas facile de trouver à 10 h du soir, au milieu de la foule madrilène "en fête" sur la Gran Via la calle de los Jardines, qui abrite pourtant l'une des salles de rock à la meilleure réputation de Madrid, la Sala del Sol où se produisent Richmond Fontaine ce soir, à un horaire très espagnol : 23 h 00. J'arrive donc juste à l'heure pour l'ouverture des portes, à 22 heures, mais nous ne sommes que 4 ou 5 devant, donc, pas de panique, comme d'habitude !
Parlons d'abord de cette 'fameuse" salle, célébrée par les internautes : curieuse disposition, pour le moins, en "V", la scène, arrondie, occupant la pointe du V ! Difficile de savoir où se placer devant une scène en demi-cercle ! La salle elle-même est assez peu accueillante, grande "double" pièce bétonnée en sous-sol, aux murs peints en blanc, un bar au fond de l'une des barres du "V", et des néons roses pour faire kitsch - ou rock'n'roll ?
Ensuite, pourquoi Richmond Fontaine, me demanderez-vous ? Voici un groupe à peu près inconnu en France, mais à l'excellente réputation en Angleterre, même si le groupe pratique de l'Americana pure et dure, quelque part entre le Springsteen exsangue de "Nebraska", et un REM ralenti et sans mélodies. Pas très attrayant, me direz-vous ? Eh bien, si, parce que RF conjugue des textes remarquables, chroniques très littéraires mais concises et élégantes du désespoir quotidien, et une voix étonnante, voire bouleversante parfois. Ceci dit, le dernier album, "We Used To Think The Freeway Sounded Like a River" m'a laissé plus froid, sacrifiant trop l'austère beauté habituelle des ambiances pour rechercher une solution "middle of the road" au piétinement d'un groupe (existant depuis 15 ans) qui est trop définitivement catalogué comme "intello" (on compare régulièrement les textes et aussi les romans de l'écrivain-chanteur-guitariste Willy Vlautin à Raymond Carver, c'est dire !)... A voir sur scène, donc !
Mais il faut d'abord que je me confronte à ma première "première partie" espagnole, avec Los Espirituosos (si, si !)... 22 h 29, nos amis fans de "swing de taverne" - c'est ainsi qu'ils se décrivent - montent sur scène, devant une vingtaine de personnes, dont visiblement pas mal de copines et copains, pour nous distiller (hi, hi) une demi heure de rockabilly avec reverb' un peu mou, de blues jazzy encore plus (mou), de rock californien un peu moins (mou) : bref une musique pas vraiment intéressante - finalement, le chant en espagnol apporte un peu d'originalité et de pathos à une musique 10.000 fois entendue, dans tous les bars rock de la planète. Quand les rythmes se ralentissent, c'est carrément soporifique, malgré (ou à cause de) l'interprétation impeccable, et quand ça s'accélère, c'est à peu près correct. Un bon point, qui me rassure pour la suite, le son : clair, bien équilibré, d'un niveau acceptable.
Ce qui m'inquiète par contre, c'est qu'il est 23 heures, et que tout ce petit monde s'affaire maintenant à démonter une bonne partie du matériel... Que va-t-il rester pour Richmond Fontaine ? Pas grand-chose, en fait, le groupe jouant assez dépouillé ! La salle s'est correctement remplie (à moitié environ) quand à 23 h 18, le quatuor de quadragénaires Richmond Fontaine apparaît. Je dis "quadragénaires" même si je n'ai aucune idée de l'âge exact des musiciens, mais il y a dans leur apparence une étonnante banalité (pour un groupe de rock, s'entend...) : oui, ils ont tout l'air d'une petite bande de mâles américains ordinaires, issus d'une white middle class assez éduquée, mais qui préfère quand même passer ses week-ends "entre hommes" à la pêche avec une bonne caisse de bières fraîches qu'à déambuler au Musée du Prado de Madrid (au hasard). Je sais, ce sont des clichés, mais c'est l'impression qu'ils me donnent... voici des mecs qui ont déjà vécu, et qui ne se la jouent pas, ni « rock'n'roll », ni « artistes ».
Sauf que le premier morceau (il s'agit de White Line Fever, extrait de l'un de leurs anciens albums que je ne connais pas) me stupéfie littéralement : est-ce bien là le Richmond Fontaine que je connais ? C'est d'emblée une violente poussée de deux guitares qui tricotent des accords à la Byrds, mais revisités par le post-punk
anglais, le tout porté par une rythmique pour le moins étonnante (Sean Oldham, batteur aux longs cheveux blancs qui m'évoque - de loin - John Carpenter est une machine froide dont les coups claquent, tandis qu'on voit tout de suite que Dave Harding, le bassiste, est de la trempe d'un Peter Hook, avec sa manière de construire des lignes mélodiques au lieu de simplement tenir une rythmique...). Le son est bien fort (quelques acouphènes, légers quand même, ensuite) et il y a dans l'élégante furie qui se déverse sur nous la promesse d'un grand concert tout à fait inattendu : j'en ai déjà des frissons d'excitation dans le dos...
Sur ce, Willy nous annonce qu'ils vont jouer "a couple of songs" extraites de leur nouvel album (ils en joueront quand même huit, si j'ai bien compté !), et le possible grand concert s'efface, Richmond Fontaine alignant ensuite des morceaux plus "traditionnellement" alt-country, disons dans la lignée d'un Lambchop, heureusement entrecoupés de poussées de fièvre totalement stimulantes. Si d'une manière générale, les chansons sont jouées d'une façon plus intense, plus dure que sur l'album (je pense en particulier au magnifique Lonnie, qui recueille les suffrages du public, ou à l'imparable Two Alone qui conclura le set avant le rappel), ce sont quand même les chansons plus anciennes qui, à chaque fois, font remonter l'adrénaline, faisant ci et là souffler le vent des plaines autrefois parcourues au galop par un Crazy Horse jeune : car, plus le concert avance, plus je suis fasciné par le guitariste (Paul Brainard ? ou Dan Eccles ? les fans du groupe devront me le confirmer... car il y a un cinquième membre de Richmond Fontaine, qui ne fera qu'une seule incursion sur scène, pour jouer de la troisième guitare - oui, troisième ! - sur un morceau particulièrement rock) dont l'allure de vieux hippie qui se laisse emporter dans des solos lyriques et teigneux sur sa Telecaster en fusion me rappelle... Neil Young ! Pas du point de vue son, non, quand même, mais par sa gestuelle et l'application passionnée avec laquelle il se met à hanter les longues cavalcades du groupe. Oui, à ces moments-là, je ne reconnais pas grand chose, vraiment, de Richmond Fontaine, et je me demande même comment il se fait qu'un groupe aussi talentueux et intense n'arrive pas à (n'essaye pas de... ?) faire passer la même chose sur ses disques ! Devant moi, sur la gauche, Dave Harding se laisse aller dans l'excitation du moment à quelques sautillements de pogo ou poses de "bass-hero", certainement curieusement déplacées mais bien sympathiques...
Bon, il y a eu aussi quelques pauses acoustiques, mais la voix déchirante de Willy fait qu'elles passent bien - et les morceaux sont courts -, et quelques moments de baisse de régime sur des chansons plus routinières, sans doute parce que Richmond Fontaine ne construit pas son set de manière "professionnelle" en gérant l'intensité des morceaux pour maîtriser son public, mais semble plutôt se laisser aller au gré de son inspiration - il y a pourtant une set list, qui sera à peu près respectée, sauf pour le rappel : là, après une intro acoustique en duo, Willy se laisse aller à répondre aux demandes de ses fans, et à nous jouer le "tube" (euh ? où ?) Post To Wire à la mélodie accrocheuse, avant de conclure par The Grits, avant de conclure par The Grits, un morceau réjouissant lui aussi les fans.
Au final, je sors de cette heure vingt cinq minutes très rassuré quant à mon propre intérêt pour ce groupe méconnu de notre chère élite parisienne, et heureusement surpris par la capacité que ses musiciens ont eu par instants de nous mettre le feu au cœur, tout en pratiquant une musique assez ambitieuse. Il est presque 1 heure du matin, je suis assez vanné, décidément il va falloir que je m'habitue aux horaires madrilènes : d'ailleurs, lorsque Willy s'est étonné à un moment de l'affluence à un set aussi tardif un mardi soir - et c'est vrai qu'à Portland, les rues doivent être plutôt désertes un mardi soir à minuit fin octobre ! -, il a recueilli la réponse du tac au tac d'une spectatrice : "Welcome to Madrid !"... »
Les musiciens de Richmond Fontaine sur scène :
Willy Vlautin: vocals, Acoustic & Electric Guitars
Dave Harding: Bass guitar, Electric Guitars, Vocals
Sean Oldham: drums, percussion, Vibes, vocals
Dan Eccles: Guitar
Paul Brainard: Pedal Steel, Piano, Vibes, Acoustic Guitar, vocals
La setlist du concert de Richmond Fontaine :
White Line Fever (Safety – 1997)
We used to think the Freeway… (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
You Can Move Back Here (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
The Boyfriends (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
43 (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
The Pull (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
Maybe We Were Both Born Blue (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
Lonnie (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
Hallway (Post to Wire – 2004)
Lost in This World (Thirteen Cities – 2007)
El Tiradito (Thirteen Cities – 2007)
Always on the Ride (Post to Wire – 2004)
Montgomery Park (Post to Wire – 2004)
Through (Post to Wire – 2004)
Making It Back (The Fitzgerald – 2005)
Two Alone (We used to think the Freeway Sounded Like a River – 2009)
Encore
I Fell Into Painting Houses in Phoenix, Arizona (Thirteen Cities – 2007)
Out Of State (Winnemucca – 2002)
Post To Wire (Post to Wire – 2004)
The Gits ($87 and a Guilty Conscience – 2008)
Cette chronique a été publiée à l'époque sur les blogs suivants : http://concertsrnrm.blogspot.co.uk/search/label/RICHMOND%20FONTAINE et http://www.loindubresil.com/archives/2009/10/29/15594513.html