The Fiery Furnaces - Mardi 23 Février 2010 - Moby Dick Club (Madrid)
« C'est bien joli d'aller voir un groupe à Madrid après qu'il soit passé à Paris, mais où est le plaisir de la découverte quand on a lu les compte-rendus des copains ? Hein, je vous le demande ? Surtout quand les dits compte-rendus ne sont pas très élogieux... Du coup, mon envie de voir The Fiery Furnaces sur scène se trouve bien émoussée, malgré le très beau dernier album du duo ("I'm Going Away", chaudement recommandé, comme l'écrivent les critiques qui touchent...) que j'écoute en boucle depuis que je l'ai acheté... Bon, je me dis que, après tout, je verrai bien, j'aurai peut être une perspective différente au Moby Dick Club, petite salle genre pub (décoration, attendue, style intérieur d'un baleinier du XIXème siècle, avec une belle baleine blanche en bois sculpté au fond) avec une bonne scène au fond, pas très haute quand même. Un avantage certain de cette salle - que je découvre ce soir -, c'est sa localisation, dans la partie Nord de Madrid, près de la Plaza Cuzco, donc plus près de chez moi, et son accessibilité parfaite (il est facile de se garer partout dans ce quartier résidentiel où la vie nocturne est assez réduite...).
A 21 heures, quand les portes du club s'ouvrent, nous sommes moins d'une dizaine devant. Je suis d'ailleurs le seul à me planter comme un idiot devant la scène, les neuf autres clampins préférant s'imbiber au bar. J'espérais Eddie Argos en première partie comme à Paris, mais ma bulle de rêve a vite éclaté : j'aurai droit à Iswhat ?!, groupe de Cincinatti conjuguant paraît-il hip hop et free jazz, une combinaison synonyme d'ennui garanti pour moi... Et puis non, en fait : à 21 h 15, trois blacks (batterie, basse, voix) et un blanc (saxo) montent sur scène pour me prouver en 30 minutes que toute musique peut être intéressante, voire excitante, si elle est jouée avec conviction et talent. Une section rythmique littéralement ébouriffante (quel batteur !), une bonne voix, et j'arrive à oublier les couinements du saxo face à moi, et à prendre du bon temps. Si le groupe s'étonne au départ du peu de monde ("Que ça pour représenter Madrid ?"), le Moby Dick se remplit vite, et à la fin du set, nous sommes une bonne centaine à beugler en choeur les "oh oh oohooh" orchestrés par le "chanteur" drôle et charismatique de Iswhat ?! Entre temps, il a rappé ses mésaventures avec la police madrilène ("Quand ils m'ont arrêté, je me suis senti comme à la maison !"), et nous a annoncé que "nos CDs sont à 5 Euros, parce que sommes un groupe qui se préoccupe de la récession globale, and that kinda shit". Bref, une bonne surprise que de se découvrir soi-même ouvert à passer un bon moment sur une musique a priori diamétralement opposée à ses goûts habituels. Ouais, je me surprends, à mon âge, deviendrais-je moins... euh... excessif ?
Mise en place rapide et efficace du matériel de The Fiery Furnaces, en moins de 10 minutes, le groupe mettant lui-même la main à la pâte : basse à gauche, batterie au centre et guitare à droite, avec un petit ampli Fender devant lequel je me suis résolument planté en attendant ma dose de putain de fucking NOISE... puisqu'on m'a annoncé que je ne devais pas m'attendre à la complexe subtilité des albums !!! Pas de claviers donc, ce qui surprend, "I'm Going Away" étant principalement construit autour de ceux-ci...
A 21 h 55, Matt et Eleanor Friedberger sont sur scène, sauf que j'avais dû mal comprendre ce que Gilles m'avait expliqué, car Matt est au centre avec sa Telecaster blanche, et Eleanor sur la droite, juste en face de moi (à quelques dizaines de centimètres de moi, Dieu bénisse le grand angle de mon Lumix !), elle qui se consacre donc sur scène exclusivement au chant, et a laissé sa batterie à un bûcheron de service. Il y a aussi un bassiste anonyme sur la gauche, que je ne verrai de toute manière quasiment pas dans l'obscurité qui l'entoure, vu le peu d'éclairage ce soir. Le look des musiciens (je l'écris même si personnellement ça m'ennuie, parce que je sais qu'il y a des filles qui me lisent et aiment savoir quels vêtements portent leurs stars, pauvres d'elles !) est de n'avoir pas de look, si ce n'est celui de tous les post-ados attardés américains : t-shirts, pulls informes, jeans, bla bla bla. Rien de glamour chez les Friedbergers, croyez-moi ! Le set démarre par un morceau que je ne connais pas, ce qui n'a rien d'étonnant, vu que je n'ai découvert The Fiery Furnaces qu'avec leur dernier album, et, alors qu'Eleanor psalmodie ses premiers couplets de la soirée, je peux vérifier de visu que c'est bien elle la responsable de la voix "androgyne" que j'aime tant, et qui m'évoquait plutôt un homme qui veut chanter comme une femme qu'une femme, si vous me suivez... Bref, Russel Mael sur les moments pop, Gordon Gano sur les chansons roots énervées, pour que les plus "cultivés" d'entre vous situent un peu cette voix. Non, c'est bien une voix féminine, même si, ce soir, elle est bien diminuée par le mal de gorge dont se plaint Eleanor, et elle en paraît d'autant plus "ordinaire"... Dès le deuxième titre, le merveilleux Charmaine Champagne, je réalise ce dont mes amis parisiens se sont plaints : disparue toute la réjouissante bizarrerie swingante de la chanson, on est passé à un traitement binaire, très rock, trop rock (eh oui, ça peut arriver !), et l'on en reconnaît encore des parcelles de mélodie et les paroles, mais plus du tout l'esprit... Nous qui regrettons régulièrement l'application que mettent aujourd'hui les artistes à reproduire à la lettre leurs chansons sur scène, nous voilà dépités par un groupe qui fait exactement l'inverse ! Sauf que, dans leur cas, appliquer un tel traitement "binaire" à leur musique furieusement paradoxale revient à la "banaliser", sans qu'elle acquière pour autant ce supplément d'énergie, de spectaculaire que Matt et Eleanor doivent apparemment rechercher en live. La preuve, le public – en nombre désormais important - restera relativement de marbre pendant les 70 minutes qui suivront, ce qui est très, très inhabituel à Madrid. Est-ce un problème de compétence technique des musiciens ? Au centre de la scène, Matt a quand même du mal à maîtriser les constructions complexes de ses propres chansons, et chaque partie de guitare a quelque chose de laborieux, loin de la fraîcheur du disque...
Et le concert se poursuit, clopin, clopant, et je me rends compte que je préfère largement les chansons que je ne connais pas, qui n'appellent donc aucune comparaison - défavorable - avec leurs versions originales, que les larges extraits de "I'm Going Away" (The End Is Near, Keep Me In The Dark, Cut The Cake, Ray Bouvier, et encore Drive To Dallas - en version accélérée) sur lesquels je m'efforce de chanter pour rentrer un peu dans le concert... Je regarde Eleanor, cachée derrière ses cheveux, qui, appliquée à se battre avec sa voix qui la trahit, n'accorde aucune attention au public : elle me paraît régulièrement secouée de petits tics, se mordant les lèvres, se grattant les avant-bras, se retirant dans le fond de la scène. D'elle ne se dégage qu'une sorte de vague hostilité, au mieux un ennui poli, qui clairement, ne font rien pour améliorer l'ambiance. Matt, d'ailleurs, semblera la surveiller d'un air vaguement inquiet pendant tout le set, lâchant quelques sourires en coin (de soulagement ?) quand il la verra se détendre un peu. Crystal Clear, accueilli par quelques "ouaaah" par les fans, sera l'une des chansons les plus réussies de la soirée, et on arrive à la fin, et au rappel qui voit Matt et Eleanor démarrer en duo, lui au chant, elle à la batterie, un moment bancal mais finalement intéressant, avant un final furieux et déconstruit.
Eleanor remet son blouson pour quitter la scène alors que le groupe joue encore, accentuant l'impression qu'elle se fiche bien de tout ça, et se rend définitivement odieuse à mes yeux en tendant sa setlist par dessus ma tête à quelqu'un derrière moi (Eleanor, si tu lis ces lignes et que tu comprends le français : je te déteste !). Heureusement, Matt, définitivement plus charmant, me remet gentiment la sienne : je lui fais un clin d'oeil pour le remercier, j'ai envie de lui dire quelques mots de sympathie parce que, forcément, il doit sentir que quelque chose ne fonctionne pas sur cette tournée... Mais le premier rang est maintenant envahi par une bande d'Américains qui cherchent à copiner avec leurs compatriotes, avec cette énergie du désespoir qu'ils ont souvent loin de chez eux : "Je suis de Chicago, ya know... Merci d'être venus peupler le désert musical où nous sommes depuis 6 mois", beugle à Matt l'une des filles qui me bouscule, dans son désir de recréer - un soir au moins - des liens avec "le pays". Eh, tu étais où, à tous les superbes concerts de ces derniers 6 mois, toi ? Je ne t'ai pas vue au premier rang !... Je me replie donc, et décide d'éviter le stand de merchandising, même si je suis tenté par l'achat de quelques albums : car je suis bien décidé à ne pas me laisser abattre par cette piètre prestation scénique de The Fiery Furnaces... Ils font de grands disques, il n'y a pas de raison de se punir en s'en privant. »
La setlist du concert de The Fiery Furnaces :
Police Sweater Blood Vow (Bitter Tea - 2006)
Charmaine Champagne (I'm Going Away - 2009)
Duplexes of the Dead (Widow City - 2006)
Automatic Husband (Widow City - 2006)
Ex-Guru (Widow City - 2006)
Chris Michaels (Blueberry Boat - 2004)
The End Is Near (I'm Going Away - 2009)
Keep Me in the Dark (I'm Going Away - 2009)
Up in the North (Gallowsbird's Bark - 2003)
Drive To Dallas (I'm Going Away - 2009)
Evergreen (EP - 2005)
Crystal Clear (Gallowsbird's Bark - 2003)
Chief Inspector Blancheflower (Blueberry Boat - 2004)
Cut the Cake (I'm Going Away - 2009)
Ray Bouvier (I'm Going Away - 2009)
Worry Worry (Gallowsbird's Bark - 2003)